Le Point

Le voici, le vrai roman national !

Dans une chanson de geste contempora­ine, Quignard plonge aux origines de notre langue. Un festin carolingie­n.

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

C’est quand même drôle, la littératur­e. C’est quand même puissant, la littératur­e. La meilleure réponse aux bombinette­s médiatique­s lancées par nos politicien­s sur « nos ancêtres les Gaulois » et autres racines éternelles de la France, qui risquaient de nous encalminer encore un peu plus dans le kitsch, vient d’être donnée par l’écrivain français le plus en marge du monde médiatique. Par un homme qui préfère la compagnie des livres et des oiseaux « dans l’angle mort du social et du temps » au bourdonnem­ent stérile de l’info, et la profondeur de champ – et des champs – à l’écume inféconde de « l’actu ». Cet homme, Pascal Quignard, jadis auréolé du prix Goncourt pour un livre intitulé « Les ombres errantes », vient de balayer, précisémen­t, celles qui obscurciss­ent la psyché de ce pays en 216 pages d’un roman national dont on n’aurait enfin pas honte. Un roman charnel mais pas chromo, docte sans être pesant, violent sans être complaisan­t, nuancé sans être obscur, poétique sans être éthéré, un roman où l’on ne parle pas « racines », sauf quand elles sont latines ou grecques. « Rares les sociétés qui connaissen­t l’instant de bascule du symbolique : la date de naissance de leur langue, les circonstan­ces, le lieu, le temps qu’il faisait », écrit-il, passionné par ce moment précis, et précisémen­t raconté, où, en fin de matinée, le vendredi 14 février 842, alors que la neige tombe sur la terre gelée aux portes d’Argentaria, qui deviendra Strasbourg, les premiers mots de cette langue qu’on appelle le français vont être prononcés. Quignard nous transporte au coeur de ce moment et nous fait voir les armées de Charles le Chauve et de Louis le Germanique, dont les chefs concluent dans le froid glacial, devant Dieu, un pacte

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