Fitzgerald au crépuscule
«A son côté, plissant les paupières comme un marin, son écharpe soulevée par le vent, Zelda avait posé un coude sur la portière de la décapotable et montrait du doigt les torrents bouillonnants et les poiriers en bourgeons. » C’était à Hollywood, faubourg de Los Angeles, dans les Jardins d’Allah – résidence où une ex-star du cinéma muet, Alla Nazimova (d’où le jeu de mots…), accueillait, dans les années 1930, une vingtaine d’acteurs sans rôle et de scénaristes désargentés… Et c’est là, autour d’un patio vaguement mexicain, que Francis Scott Fitzgerald s’est échoué, en pleine débâcle personnelle, vers 1938. Il n’a rien de commun, bien sûr, avec le Scott des débuts, de la Riviera, de la Génération perdue, des triomphes arrosés de gin et de dollars. Celui qui s’installe aux Gardens est devenu un anonyme qu’on paie (très mal) pour améliorer les dialogues de films standards de la MGM où joueront Robert Taylor ou Joan Crawford. Zelda, dont la schizophrénie s’aggrave, est dans un asile de la côte Est ; il faut payer les études de Scottie, sa fille ; les magazines ne veulent presque plus des nouvelles qu’il leur adresse à tout hasard… Pas de second acte dans la vie des héros américains ? Scott le vérifiera jusqu’à l’effroi. Jusqu’à la fin de sa vie trop brièvement glorieuse…
C’est sur cette séquence crépusculaire que Stewart O’Nan – un écrivain solide et subtil né en 1961 – a écrit un roman merveilleux de tact, d’intelligence et de sensibilité d’époque. On y retrouve tous les grands thèmes de la fêlure fitzgéraldienne : la solitude ; l’argent compliqué ; les jeunes filles du Sud ; la rivalité avec Hemingway ; la rencontre avec Sheila Graham, qui va tenter de remplacer Zelda et qui accompagnera Scott jusqu’à sa fatale crise cardiaque de 1940 ; les week-ends avec Zelda-la-folle – que Scott n’aime plus, mais dont il adore le souvenir ; les jolis moments d’alcool et de fraternité avec Bogart ou Dorothy Parker ; la montée vers la guerre en Europe ; la panique de Scott qui sait qu’il va mourir avant d’achever son « Dernier nabab » – qui devait, précisément, brasser tout ce magma hollywoodien… Les intoxiqués du glamour fitzgéraldien en redemandent… Ce « roman » vrai est un bijou. Il faut le lire pour gémir et se réjouir. Pour vivre, ne serait-ce qu’un instant, sous le soleil californien qui s’attarde si lascivement, et avec tant d’indifférence, sur les damnés de Sunset Boulevard
« Derniers feux sur Sunset », de Stewart O’Nan, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville (Editions de l’Olivier, 390 p., 23 €).