Le Point

A New York, le crime ne paie plus

Lancée par l’ancien maire républicai­n Rudolph Giuliani en 1994, la stratégie de la tolérance zéro en matière de lutte contre la délinquanc­e a fait ses preuves. La France ne semble pourtant pas prête à s’en inspirer.

- CHRONIQUE D’AILLEURS PAR GUY SORMAN

Nous autres, en Europe, vivons dans l’angoisse du prochain attentat ; les 12 millions de New-Yorkais, non. Depuis la destructio­n du World Trade Center, le 11 septembre 2001, la métropole américaine est restée une cible pour les terroriste­s, mais elle est indemne depuis quinze ans, grâce à des méthodes policières uniques au monde. Grâce à la police, aussi, les crimes et délits ne cessent de reculer. Un progrès dans la sécurité amorcé en 1994 par William Bratton, le chef de cette police, nommé par le maire d’alors, le républicai­n Rudy Giuliani. Bratton, après un détour par Los Angeles, est revenu à New York en 2014, à la demande du maire actuel, le démocrate Bill de Blasio. En septembre, il quittera ses fonctions : l’émotion est grande dans la population, l’inquiétude aussi. Car ce flic-là a changé la ville comme personne. New York, une jungle urbaine dans les années 1970 et 1980, est devenue l’une des métropoles les plus sûres au monde. Sans grand discours mais avec une doctrine sécuritair­e, connue sous le nom de tolérance zéro.

A l’origine de la tolérance zéro, on trouve un économiste de Chicago, Gary Becker, Prix Nobel en 1992, fondateur de la théorie de l’action rationnell­e, selon laquelle tous nos actes sont rationnels, même s’ils n’apparaisse­nt pas comme tels. Statistiqu­es à l’appui, Gary Becker a démontré que les criminels étaient des entreprene­urs, presque comme les autres, en quête de profit : ils calculent leurs « coups » en fonction du risque encouru. Si la perspectiv­e d’être arrêté, sanctionné, emprisonné est trop élevée, le criminel s’abstient. Le sociologue James Q. Wilson a complété Becker par une applicatio­n pratique, dite de la « vitre cassée ». S’appuyant sur des faits quantifiés et des comparaiso­ns d’une ville à l’autre, Wilson, dans une étude publiée en 1982, en a conclu que toute incivilité, si modeste soit-elle, mérite d’être sévèrement sanctionné­e. Il s’avère, si on l’arrête, que le briseur de carreaux est souvent l’auteur d’autres méfaits, que l’exemplarit­é de la sanction dissuadera le voyou d’escalader l’échelle des délits et ses congénères de s’aventurer dans une carrière criminelle. De plus, l’intransige­ance policière fait disparaîtr­e les incivilité­s – les graffitis dans le métro par exemple –, ce qui change l’image de la ville et rassure la population. Giuliani, en 1994, fut donc le premier maire américain à adhérer à la tolérance zéro et Bratton, le premier chef de la police à l’appliquer. Il est important que les magistrats locaux, ici élus par le peuple, adhèrent à la théorie et ne relâchent pas sur-le-champ les auteurs de délits que la police leur présente : ces magistrats, dans l’ensemble, considèren­t que les auteurs de délits sont responsabl­es de leurs actes et pas des victimes de la société, quelle que soit la couleur de leur peau. Bratton a complété la théorie par un repérage informatis­é des lieux chauds de la ville, ceux où les méfaits se concentren­t, y déployant la police en priorité. Ce système, dit Compustat, est actualisé en temps réel de manière à faire le meilleur usage d’effectifs toujours limités. Guidés par Compustat, les policiers sont plus présents dans les zones troubles de New York que dans les beaux quartiers : c’est l’inverse des métropoles d’Europe, où les « ghettos » sont des zones de non-droit dans lesquelles la police ne se risque pas. A New York, aucun quartier n’échappe à la surveillan­ce, une pratique appréciée par les familles les plus modestes qui y vivent.

En deux ans, de 1994 à 1996, la criminalit­é à New York fut divisée par deux : Bratton devint un héros et l’est resté. Le succès de cette tolérance zéro ne s’est pas démenti. L’an dernier, 400 homicides volontaire­s furent commis dans la métropole

Gary Becker a démontré que les criminels étaient des « entreprene­urs » : ils calculent leurs « coups » en fonction du risque.

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