Le Point

Sation a sapé le rêve américain »

- PROPOS RECUEILLIS PAR F.-G. L.

Pourtant, en 1999, Clinton, qui a rétabli les grands équilibres, annonce la « plénitude des temps » : les Etats-Unis sont devenus une hyperpuiss­ance. Quel a été depuis l’accident de parcours ?

Autour de 1996, il est vrai, le pays recouvre foi dans sa destinée. Son hégémonie paraît même plus forte que jamais. Or ce « moment unipolaire » menace de se révéler éphémère. D’abord, la mondialisa­tion que les Etats-Unis ont impulsée fait obstacle au projet national qu’elle est censée étayer : tandis que leurs multinatio­nales conçoivent leur politique à l’échelle du monde entier, les inégalités ne cessent de se creuser, sapant la grande classe moyenne et, avec elle, le rêve américain qu’elle incarnait. Ensuite, la décennie 1980 a été le début d’une dérégulati­on financière d’autant plus dangereuse que l’Etat encourage l’irresponsa­bilité en volant au secours d’établissem­ents surendetté­s. Enfin, le sentiment de puissance peut conduire à l’hubris et à l’arrogance. C’est ce qui se produit après les attentats du 11 septembre 2001. Alors même qu’il semble avoir tous les atouts en main pour assurer un nouveau sursis au siècle américain – le pays est uni derrière lui, les alliés ne lui ménagent pas leur appui –, George W. Bush en précipite le déclin. Eisenhower avait remarqué que la puissance était le produit de « la force spirituell­e multipliée par la force économique multipliée par la force militaire », ajoutant que, si l’un de ces facteurs s’annulait, le produit l’imitait. Or la politique alors menée fragilise les deux derniers et menace d’anéantir le premier. D’un côté, la « guerre contre le terrorisme » démontre les limites de leur superpuiss­ance militaire et fragilise un peu plus leur posture financière. De l’autre, conjugué avec Guantanamo, Abou Ghraib et l’invasion de l’Irak, le séisme financier sur lequel, portée à son paroxysme, leur politique néolibéral­e finit par déboucher les prive de l’aura que leur victoire dans la guerre froide avait assurée.

Que ce soit Clinton ou Trump qui s’installe à la MaisonBlan­che, ce déclin peut-il être enrayé ?

Contraints de se consacrer davantage à leurs problèmes internes, avec une moindre légitimité et toujours plus en butte, en Asie, aux ambitions de la Chine, les Etats-Unis ne seront plus jamais à même de dominer un monde complexe, dangereux et tourmenté. Certes, Hillary Clinton affiche sa volonté d’exercer un leadership « créatif et confiant ». Mais, la popularité de Trump et de Sanders vient l’attester, le pays est las des grandes interventi­ons à l’étranger. Plutôt que de recommence­r le monde, ses dirigeants devront sans doute se contenter de défendre les plus vitaux des intérêts américains et de jouer un rôle de primus inter pares, celui-là même, au demeurant, qu’en 1945 ils voulaient exercer « Le siècle américain, une histoire », de Pierre Melandri (Perrin, 670 p., 24 €).

Newspapers in French

Newspapers from France