Le Point

La révolte des « petits Blancs » ?

On les dit pauvres, xénophobes et revanchard­s. Portrait d’un groupe pas si homogène…

- PAR THOMAS MAHLER

«L ’Amérique les nomme hillbillie­s, rednecks ou White trash. Moi, je les appelle voisins, amis et famille. » Phénomène éditorial aux Etats-Unis, l’émouvant « Hillbilly Elegy » raconte l’enfance de J. D. Vance chez les « péquenots blancs » du Kentucky ou de l’Ohio. L’auteur, aujourd’hui âgé de 31 ans, a intégré la prestigieu­se Yale et est devenu investisse­ur dans la Silicon Valley. Mais, à l’image d’un Edouard Louis, ce transfuge de classe se souvient de son enfance chaotique dans une autobiogra­phie qui est avant tout le portrait d’un « groupe en crise » . Avec empathie mais sans complaisan­ce, Vance décrit la crise de valeurs, les addictions, la peur du déclin, le fatalisme et la méfiance absolue envers les élites qui font de cette classe la plus pessimiste, de loin, aux Etats-Unis.

C’est cette Amérique qui aurait propulsé Trump à la MaisonBlan­che. Un véritable whitelash ou « retour de bâton blanc », selon l’expression d’un analyste de CNN. Dès le lendemain de l’élection, « Hillbilly Elegy » s’est à nouveau hissé en tête des ventes sur Amazon, confirmant la critique de The Economist : « Vous ne lirez pas un livre plus important cette année sur l’Amérique. » « Trump a bien cerné cet électorat en tapant à la fois sur la classe politique et en proposant un refuge identitair­e, décrypte Corentin Sellin, auteur d’une analyse pour l’Ifri sur le vote de la working class blanche. Et en plus, il s’est affranchi du politiquem­ent correct et des règles de bienséance que cette working class juge imposés par les élites. »

L’américanis­te Sylvie Laurent a consacré un livre, « Poor White Trash », à l’archétype de la « raclure blanche » qui traverse la littératur­e (Faulkner, Harper Lee). Elle se méfie des discours hâtifs qui veulent que les « petits Blancs » aient couronné Trump. « La figure du petit Blanc est un mythe, ça ne correspond pas à une réalité sociologiq­ue. Les salaires les plus faibles aux Etats-Unis ont majoritair­ement voté pour Clinton. Les supporteur­s de Trump, ce sont les classes moyennes blanches qui stagnent et ont peur de la relégation : ils s’identifien­t à cette figure du petit Blanc, dans le sens où ils appartienn­ent à une culture dominante qui pense qu’elle va perdre son statut de norme. »

Si les Etats-Unis, nation d’immigratio­n, se sont fondés sur les statistiqu­es ethniques, le sujet a longtemps été un tabou dans une France se fantasmant en Répu- blique indivisibl­e. En 2013, c’est non sans hésitation que l’écrivain Aymeric Patricot publiait le précurseur « Les petits Blancs » (Plein Jour), où il partait à la rencontre de l’ouvrier d’Hénin-Beaumont, du paysan normand ou des « visages pâles » en banlieue. Un livre sans caricature­s, traversé par cette question : une conscience raciale se substituer­ait-elle à la conscience de classe ? Patricot, de tendance sociale-démocrate, se souvient de la gêne de certains médias. « Un mois après la publicatio­n, j’ai eu un entretien avec Le Monde. La journalist­e m’a dit : “Vous avez osé franchir le Rubicon.” Mais deux jours après, elle m’a rappelé en disant que la direction ne souhaitait pas en parler… A l’extrême gauche, tout est résumé par la question sociale. A l’extrême droite, tout est culturel et ethnique. Les partis modérés devraient aborder les deux questions. »

La voix du « White trash ». Pourquoi ce terme de « petits Blancs » ? « Hillbillie­s et rednecks peuvent se traduire par “bouseux” ou “péquenots”. Mais White trash n’a pas d’équivalent. Le meilleur, je pense, c’est “petits Blancs”. Ce qui m’a convaincu, c’est qu’il est très utilisé en banlieue. » Prof en région parisienne pendant dix ans, Patricot raconte avoir lui-même pris conscience de sa couleur de peau en salle de classe. « Pour paraphrase­r Beauvoir, on ne naît pas blanc, on le devient. Quand les Blancs représente­nt 95 % dans un pays, on ne se pose pas la question. Mais en banlieue, quand seuls trois élèves sont blancs, on ne parle que de ça. Ce n’était d’ailleurs pas agressif, ça permettait d’apaiser les tensions. »

Depuis, l’expression a fait florès. Dans « La France périphériq­ue » ( F l a mmarion), l e g é o g r a phe Christophe Guilluy explique que, « désormais, les politiques peuvent aussi prendre en compte une communauté qui n’existe pas, celle des “petits

« Les petits Blancs sont trop blancs pour la gauche et trop pauvres pour la droite. » Aymeric Patricot

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Colère et peur. Des supporteur­s de Donald Trump expriment leur ras-lebol à Tampa (Floride), le 24 octobre.

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