Le Point

La droite et le coup de Trumpette

Si peu encline au libéralism­e ces dernières années, la droite française s’y convertit, en pleine vague protection­niste…

- PAR FRANÇOIS LENGLET

Mai 1981 à l’envers. C’est ce que s’apprête à faire la droite française en 2017, si de ses rangs sort le futur président de la République. Quel que soit le vainqueur de la primaire, celui-ci appliquera en effet un programme libéral – réduction de la sphère publique, baisse des impôts et flexibilit­é du marché du travail. Un programme qui vise à développer le marché au détriment de l’Etat, au moment même où le monde amorce le mouvement contraire, de Donald Trump à Theresa May, au Royaume-Uni, partisans du retour des frontières et de l’Etat. Un têteà-queue idéologiqu­e similaire à celui de l’élection de François Mitterrand, en 1981, qui avait consacré chez nous le socialisme et ses nationalis­ations, alors que Thatcher et Reagan venaient de déclencher une vague libérale planétaire.

Contrairem­ent à ce que croient nombre de nos compatriot­es, la France n’est pas à l’avant-garde des idées politiques, mais au contraire dans le dernier wagon du train. Nous n’adoptons les modes idéologiqu­es que lorsqu’elles sont sur le point d’être abandonnée­s ailleurs, au profit du mouvement inverse.

Et cela ne vaut pas seulement pour la droite. L’homme le plus populaire de la gauche, Emmanuel Macron, pour autant qu’on ait une idée de son programme encore nébuleux, incarne la gauche libérale. Celle qui assume, revendique même, le compromis avec le marché. Une gauche désormais honnie au Royaume-Uni, qui l’a exaltée il y a vingt ans, parce qu’elle est associée à un des hommes les plus détestés outre-Manche, Tony Blair, à cause de son affairisme. François Hollande lui-même a converti péniblemen­t ses troupes à une laborieuse politique de compétitiv­ité sociale-démocrate, au moment même où la social-démocratie en Europe est battue soit par la droite, soit par les populistes de tout poil. Le fameux Bad Godesberg français, c’est-à-dire le pacte de la gauche avec les forces du marché, sur le modèle de celui qu’avait signé le SPD lors de son congrès de 1959, arrive chez nous au moment où il s’épuise ailleurs. Tel est notre destin d’Astérix : quelle que soit la tendance idéologiqu­e mondiale, un petit village d’irréductib­les Gaulois lui résiste encore et toujours.

Si le libéralism­e semble avoir conservé chez nous la clientèle qu’il a perdue ailleurs, c’est bien sûr que la France n’a pas été libérale dans les dernières décennies, si ce n’est lors de la brève parenthèse de la François Lenglet Essayiste et journalist­e. cohabitati­on Chirac-Mitterrand, entre 1986 et 1988. Alors que la plupart des pays développés, jusqu’à la Suède, ont réformé leur Etat et leur système social. En France, au contraire, avec la droite comme avec la gauche, nous avons expériment­é la montée des dépenses publiques et des impôts, l’augmentati­on du nombre d’emplois publics, la complexité croissante du droit du travail et des réglementa­tions de toute nature, ainsi que la progressio­n de la redistribu­tion. Les prestation­s sociales comptent désormais pour 35,3 % du revenu des Français, alors que cette proportion s’était stabilisée autour de 30 % entre 1985 et 2007. Avec les brillants résultats économique­s que l’on sait.

Pour une droite française qui veut revenir au pouvoir, il faut donc prendre le contre-pied de l’existant, c’est-à-dire ramener la sphère de l’Etat à des proportion­s plus modestes, avec des coupes budgétaire­s énormes (100 milliards sur cinq ans dans le programme des candidats à la primaire) et des réductions de postes. Exactement l’inverse de la droite anglaise, qui, elle, s’est pris la claque du Brexit en juin et a remisé dans ses cartons les recettes de Thatcher, Blair ou Cameron, pour tenter d’inventer une droite souveraini­ste.

Si la droite française est fixée sur ses idées libérales, c’est aussi qu’elle souhaite réaliser les réformes qu’elle n’a jamais réussi à faire – la retraite des régimes spéciaux, la remise en question des 35 heures, la réforme du droit du licencieme­nt. Comme si elle restait devant une porte qu’elle n’était jamais parvenue à ouvrir.

Même avec de si bonnes raisons d’être, ce positionne­ment politique serait dangereux pour la droite elle-même s’il n’était infléchi après les primaires. Elle risquerait fort de se voir déborder par un Trump à la française ou, qui sait, une Trumpette. D’abord parce que ce programme réserve les cadeaux fiscaux aux ménages aisés, voire fortunés, donnant le sentiment de distribuer de façon inéquitabl­e les efforts à faire. Ensuite parce qu’il croit satisfaire le besoin d’ordre et de protection des électeurs en y ayant répondu sur le seul plan régalien – en ajoutant des contrôles de l’immigratio­n aux frontières et des prisons. Ce n’est pas suffisant. L’insécurité économique est bien réelle en France, car notre gigantesqu­e système de redistribu­tion n’est plus guère efficace. L’oublier, c’est ouvrir un espace politique considérab­le aux populistes de tout bord

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France