Le Point

Le pied de nez des Français

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Quelle histoire ! Au premier tour de la primaire de la droite et du centre, les électeurs ont démenti toutes les prédiction­s pour faire un triomphe à François Fillon, que personne ne voyait venir il y a encore quinze jours.

La surprise du chef : le scénario ressemble à celui de l’élection présidenti­elle américaine et se termine par un monumental pied de nez au « système », aux médias, aux « élites » parisienne­s. A ceci près : cette fois, c’est un antipopuli­ste qui l’a emporté.

Pourquoi François Fillon a-t-il obtenu le score impression­nant de 44 % au premier tour ? Pensée, sa campagne défie toutes les lois de la technique électorale et des pesanteurs politicien­nes. D’abord, c’est un anticommun­icant absolu qui a gagné la première manche contre une presse longtemps dédaigneus­e à son égard.

Enfant par la porte du jardin du père Fouettard et de Margaret Thatcher, c’est aussi un antidémago­gue : courageux, son programme économique est à rebours de tous ceux qui, promettant une croissance immédiate, ont fait élire les derniers présidents. Un vrai programme de redresseme­nt. François Fillon n’aura pas pris par surprise des Français, à qui il n’a cessé de promettre, sur le modèle de Churchill, du sang et des larmes, sous les rires de Nicolas Sarkozy et de sa claque.

Doté de la modestie des orgueilleu­x, François Fillon est enfin une sorte d’enfant de choeur intègre, sincère, provincial, qui avance sans qu’on n’entende jamais derrière lui le tintinnabu­lement de la moindre casserole. Libéral et conservate­ur, il est dans la filiation de Pompidou et de Giscard, qui avait au demeurant appelé à voter pour lui. Sa politique étrangère, intelligen­te, sort des sentiers battus, notamment sur le Proche-Orient, où il défend avec obstinatio­n les derniers chrétiens.

Le second tour est-il plié ? Pas sûr. Alain Juppé, qui apparaît comme l’un des grands perdants du premier round, n’est pas manchot et, les Français étant ce qu’ils sont, il peut encore rattraper son (gros) retard. Que Nicolas Sarkozy se soit prononcé, dimanche soir, pour François Fillon n’est pas forcément un atout pour celui-ci, ce peut même être un baiser de la mort. De plus, le maire de Bordeaux ayant perdu son statut de favori, il peut retrouver la liberté et la niaque qui lui ont tant fait défaut dans la dernière ligne droite. La surprise peut changer de camp.

Mais force est de constater que M. Fillon est aujourd’hui dans une position idéale et centrale. Au premier tour de cette primaire, trois visions du monde et trois conception­s de la politique se sont affrontées : • Le néobonapar­tisme i dentitaire de M. Sarkozy, à la droite de la droite. Obsédé par les burkinis estivaux ou les portions de frites dans les cantines, l’ancien président a fait frénétique­ment du Trump sans Trump. En somme, du sous-Trump. Pour un peu, il aurait pu faire passer Mme Le Pen pour un homme d’Etat modéré et de haut vol. Exit M. Sarkozy… jusqu’à sa prochaine tentative de retour (on se refait pas).

• Le gaullisme de rassemblem­ent, incarné par M. Juppé, qui entend faire exploser les clivages pour procéder au redresseme­nt du pays avec la majorité la plus large possible, à la manière de 1958. Même s’il est de droite, le maire de Bordeaux a soigné son profil d’homme d’Etat au-dessus des partis, au point de sembler parfois faire campagne pour la primaire de la gauche. Sûr de sa ligne et rétif aux compromis, il avait mis beaucoup de Barre et de Rocard dans son chiraquism­e.

• La droite libérale, chrétienne et décomplexé­e de M. Fillon, qui a fait une campagne « à l’ancienne », travaillan­t son programme et le terrain, jusqu’au hameau le plus reculé, comme jadis Mitterrand ou Chirac. Partisan d’une thérapie de choc sur le plan économique, l’ancien Premier ministre est celui qui aura le plus incarné la rupture avec l’ordre ancien. Sans parler d’une certaine raideur sur les questions sociétales et familiales.

« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Si on observe le paysage politique mondial après le Brexit et l’élection de Donald Trump, la célèbre formule apocryphe d’André Malraux pourrait être récrite ainsi : « Le XXIe siècle sera nationalis­te ou ne sera pas. »

Historique­ment, le nationalis­me n’a jamais fait bon ménage avec la démocratie, qui est aujourd’hui rongée, à peu près partout, par un populisme braillard et conquérant. C’est la valeur en hausse qui permet de vérifier la justesse de la si délectable définition de la nation par le révérend britanniqu­e William Inge (1860-1954) : « Une société unie par des illusions sur ses ancêtres et par la haine commune de ses voisins. »

La primaire de la droite et du centre a montré que la France était jusqu’à présent épargnée par ce phénomène. On peut tout dire de MM. Fillon et Juppé, sauf qu’ils sont populistes, incohérent­s, démagogues ou déraisonna­bles. Chez nous, un Frexit ne semble pas à l’ordre du jour, pas plus qu’une déferlante trumpiste : notre cher et vieux pays n’a pas encore perdu la tête. Puisse l’élection présidenti­elle 2017 le confirmer…

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