La troisième droite
Le fillonisme est un souverainisme libéral… et européen.
La géographie électorale est en train d’accoucher d’un nouvel ensemble : la droite Fillon. On croyait pourtant les choses définitivement figées idéologiquement, entre deux représentations de la société et du monde, a priori inconciliables, qui ont pour incarnation Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Soit les droites françaises les plus affirmées, aux forces plus ou moins égales. Ouverte et multiculturelle ; identitariste et autoritaire. Libérales, elles peuvent s’entendre économiquement, mais là n’est pas, pour elles, l’essentiel. Car elles sont d’abord une attitude à avoir, un discours à tenir face à la mondialisation et ses corollaires que sont l’immigration, le multiculturalisme et la défense de l’identité. Mais, depuis l’entrée en campagne de François Fillon, les plaques ont bougé et on a vu poindre une droite, singulière et hétéroclite, qu’on pourrait qualifier de souverainiste libérale. Une troisième droite, en somme. « Fillon incarne merveilleusement bien la phrase de Lampedusa qui disait : “Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change.” La modernité exige une nouvelle forme de conservatisme » , théorise son ami Jean de Boishue, « historien » du fillonisme.
Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, qui ne cessa de s’alarmer de l’état des finances publiques, affirmait que la souveraineté devait être aussi, pour ne pas dire d’abord, économique, sinon la France serait reléguée, rappelée à l’ordre et humiliée par les systèmes de notation et la Commission européenne, face à une Allemagne politiquement faible, mais économiquement puissante. Il fut certes le héraut flamboyant du non à Maastricht, mais, une fois le traité ratifié, et bien qu’il ait continué son combat contre l’Europe bruxelloise – rêvant secrètement d’une Union méditerranéenne –, il estimait que l’Etat devait respecter ses engagements. Un rappel utile à ceux qui font de Philippe Séguin un antieuropéen primaire, dépensier à souhait, qui ne tenait aucun compte de l’imbrication des économies.
En 1992, il déclarait : « Que la crise de notre Etat-providence appelle de profondes réformes, je serai le dernier à le contester. Que cette modernisation, faute de courage politique, soit imposée par les institutions communautaires, voilà qui me semble à la fois inquiétant et riche de désillusions pour notre pays. Le meilleur service que nous pouvons rendre à l’Europe, c’est donc de nous engager résolument sur la voie du redressement national. » On croirait lire du Fillon. Ce dernier, qui assume la radicalité de son programme – « C’est vrai, il n’est pas facile » –, marche donc sur les pas de son mentor, y compris en matière de politique étrangère. N’est-ce pas Philippe Séguin qui a créé en 1995 la diplomatie interparlementaire franco-russe ?
Aujourd’hui, à la faveur de sa campagne, Fillon attire donc différentes sortes d’électeurs qui, s’ils ne partagent pas toutes ses options, lui reconnaissent quelques mérites : la constance, l’audace, le refus d’un alignement géopolitique sur les EtatsUnis et de la politique spectacle. Ainsi retrouve-t-on parmi ceux qui ont voté pour lui des militants catholiques soucieux du sort de leurs coreligionnaires en Orient, des chevènementistes, des sympathisants d’Arnaud Montebourg, des orphelins du séguinisme, des pourfendeurs de l’hégémonie américaine – pas forcément mécontents de l’élection de Donald Trump –, des partisans de la « souveraineté monétaire européenne », des libéraux économi q u e s t e n d a n c e T h a t c h e r, d e s conservateurs sociétaux à l’instar des antimariage homosexuel, des identitaires fatigués des zigzags de Sarkozy, d’anciens électeurs FN qui goûtent de moins en moins de rester à la marge, des prorusses, pro-Poutine… François Fillon réussit ainsi une synthèse inédite, composite, qui le portera peut-être à la victoire de cette primaire. Jean de Boishue : « On assisterait alors à un renouveau conservateur. »