Cela pourrait bien accélérer la fin du pseudo-« modèle social français »
S’il donne quitus à François Fillon sur son libéralisme économique, le philosophe l’invite à assouplir son conservatisme sociétal.
Il y a trois ans, le Centre for Policy Studies, think tank britannique fondé par Margaret Thatcher, m’avait proposé d’organiser, à l’occasion de son 40e anniversaire, une table ronde consacrée à la France. Le titre de l’événement était explicite : « The Margaret Thatcher Conference on Liberty ». Après avoir réuni économistes et entrepreneurs, j’avais sollicité sans guère d’espoir divers responsables politiques français. Seul un avait répondu : François Fillon. Je n’en revenais pas de voir l’ancien Premier ministre, principalement associé dans mon esprit à la quiétude sarthoise et aux chaussettes rouges cardinalesques, accepter ainsi d’intervenir sous les auspices de la Dame de fer.
J’ai réécouté dimanche soir le discours qu’il nous avait donné, en juin 2014, sous les voûtes néogothiques du Guildhall de Londres. Constatant « l’excès de normes, de réglementations et d’impôts », il avait affirmé, là aussi de manière inattendue, que le peuple français était « en train de devenir libéral » : les résultats du premier tour de la primaire lui donnent aujourd’hui raison. Promettant un « choc en termes de liberté », il avait esquissé un programme économique assez radical : réduction du Code du travail aux dispositions d’ordre public, suppression de la durée légale du travail et renvoi dans les deux cas à la négociation d’entreprise pour les arrangements particuliers. Autrement dit, la loi devrait se contenter d’assurer les droits fondamentaux, laissant pour le reste les acteurs s’organiser sur le terrain.
Il faut reconnaître que, depuis, le candidat Fillon n’a pas dévié de cette ligne, enrichie à mesure que ses consultations avançaient. Parmi tous les prétendants étiquetés à droite, il est le seul à proposer clairement ces fameuses mesures-que-tout-le-monde-connaîtmais-que-personne-n’a-le-courage-de-prendre. On sera à même de tester la flexibilité du marché du travail, dans la mesure où sera introduit un puissant motif de « réorganisation de l’entreprise » dans les procédures de licenciement collectif (autrement dit, l’entreprise n’aura plus à justifier de difficultés économiques devant le juge). On mesurera les effets réels de la rigueur, puisque l’équilibre budgétaire devrait être inscrit dans la Constitution et assuré par une centaine de milliards d’euros d’économies. On ne se plaindra plus des impôts, l’ISF étant supprimé, l’impôt sur les sociétés aligné sur les taux moyens européens, les charges réduites et l’impôt sur le revenu en partie forfaitisé. On verra si des syndicats plus représentatifs deviennent plus constructifs, grâce à la liberté de candidature au premier tour des élections professionnelles. En tout cas, on ne pourra plus dire qu’on n’a pas essayé.
Il serait réducteur de présenter le programme de François Fillon comme un simple exercice de rationalité comptable. Le « choc de liberté » y est en effet décliné sur des terrains plus inattendus : autonomie accrue des établissements scolaires un peu sur le modèle des free schools britanniques, libre association des producteurs agricoles pour négocier leurs prix, mise en place d’un étage de retraites par capitalisation, libéralisation du foncier afin d’encourager l’investissement immobilier, création d’une Caisse de protection des indépendants… Tout cela pourrait bien accélérer la fin du pseudo-« modèle social français » qui n’est qu’une accumulation extravagante de privilèges et de rentes, et annoncer le retour au modèle libéral français, seul à même de rétablir la justice sociale. Partout, l’initiative privée sera la règle, et la règle l’exception.
S’il y a un domaine où, étonnamment, M. Fillon semble déterminé à continuer d’emmerder les Français, c’est celui de leur vie privée.