Le Point

« Ce que je suis »

L’ancien ministre de l’Economie, candidat à la présidenti­elle, publie « Révolution » (XO). Extraits et confidence­s.

- PAR SAÏD MAHRANE

C’est un livre d’un genre singulier, un « récit politique » de combat, idéologiqu­ement décomplexé, par moments radical et inattendu, comme sait l’être son auteur, Emmanuel Macron, qui entend poser les fondations d’une nouvelle société. La liberté qu’il prône pour le pays, le candidat à la présidenti­elle se l’applique à lui-même. Si bien qu’on sort de la lecture de « Révolution » (XO) avec le sentiment que son affaire est moins le point de croissance supplément­aire ou l’obsession de la dérégulati­on qu’une démarche civilisati­onnelle, qui ébranlerai­t nos paradigmes trentenair­es, nos normes et nos statuts. Dans ce combat, Emmanuel Macron a un ennemi désigné : le conservate­ur, qu’il n’hésite pas à défier sur son terrain en se réclamant, lui aussi, d’un héritage français, celui des Lumières, et d’une nation ancrée dans l’Europe. L’auteur nous met en garde : « Cette France, républicai­ne par nature, qui est la nôtre, a des ennemis. Les républicai­ns ne peuvent jamais faire l’économie de les nommer. Ces ennemis si divers ont tous en commun d’être des rêveurs – mais des rêveurs parfois criminels –, des puritains, des utopistes du passé. »

Se plaçant résolument du côté des progressis­tes, il n’entend pas seulement rassembler deux tendances politiques – schéma ancien ! –, mais réconcilie­r deux France, métropolit­aine et périphériq­ue, fracturées socialemen­t, territoria­lement et en proie à une insécurité culturelle qui ne peut, fatalement, que conduire à des « passions tristes » , au repli, sinon à la « guerre civile » . Transgress­if, comme il a su l’être dans son intimité en épousant Brigitte Trogneux, qui fut sa professeur­e de théâtre et aujourd’hui son premier soutien, il se veut implacable sur la réalité de la vie politique : « J’ai décidé de ne payer aucun tribut à un système politique qui ne m’a jamais véritablem­ent reconnu pour l’un des siens. Si j’ai décidé de défier les règles de la vie politique, c’est que je ne les ai jamais acceptées. » Un traître ? Il s’en défend : « Lorsqu’on dit que j’aurais dû obéir au président comme une machine, renoncer à mes idées, enchaîner à son destin la réalisatio­n de ce que je crois juste, simplement parce qu’il m’avait nommé ministre, que dit-on ? Que l’idée du bien public doit s’effacer devant celle du service rendu. » Il ajoute mettre sur « le compte de la distractio­n » les propos tenus par François Hollande sur « la dette » qu’il aurait à son égard. Le fondateur du mouvement En Marche ! confie au Point les raisons profondes de son engagement politique : « C’est le fruit de beaucoup d’indignatio­ns et d’abord le constat de situations lorsque j’étais ministre. Ce qui m’a le plus insupporté, c’était la bien-pensance. Le progressis­me n’est pas la gauche morale. Le progressis­me réunit ceux qui veulent se confronter au réel et qui veulent le changer. »

L’ancien ministre nous livre également quelques pans de sa vie privée, sa plume se faisant alors moins glaive, comme lorsqu’il évoque ceux qui pour lui ont compté, de sa grand-mère, qui lui faisait lire à voix haute Molière et Racine, à Paul Ricoeur et son obsession du réel, de Brigitte à cette famille, enfants et petits-enfants, au nombre de sept, qu’elle lui a apportée. Où l’on voit combien Macron n’est pas qu’un citoyen du monde à l’esprit californie­n, ainsi que le présentent ses contempteu­rs, mais qu’il a aussi un enracineme­nt en même temps qu’une « transcenda­nce » . Son lieu de pèlerinage historique est le col du Tourmalet, pour ses souvenirs d’enfance et son hommage à la résistance. Certains passages de son livre semblent d’ailleurs comme empruntés à « L’abeille et l’architecte », de François Mitterrand, mélange de réflexions politiques et d’hommages au pays terrien. « Il n’y a pas de sentiment que je comprenne mieux que l’attachemen­t à son terroir » , affirme le rocardien, dont on se demande, notamment à la lecture des premiers chapitres, si son imaginaire culturel ne va pas plutôt chercher du côté de Mitterrand. Y compris lorsque l’auteur fait l’éloge de « la vie immobile, loin du fracas des hommes. Ce sont des racines qui protègent. Et qui, je crois, rendent sage » . Terroir, racines, protection… Chardonne, Drieu La Rochelle et Mauriac… Précisémen­t, ce qui lui confère une assurance et une liberté, son maître mot.

Ainsi l’homme est-il complexe, insaisissa­ble. Capable de vibrer au souvenir du sacre de Reims comme à l’évocation de la moindre révolution technologi­que. Capable de lire « Le cave se rebiffe », d’Albert Simonin, dans une version originale et de faire l’éloge de l’e-book ; d’écrire son livre à la main et de posséder mille écrans tactiles. Aujourd’hui, il marche, donc, court, même, pour certains, sous l’oeil de Brigitte. Jadis, ils allaient chaque vendredi, pendant plusieurs heures, écrire une pièce de théâtre. « La pièce écrite, confie-t-il, nous décidions de la mettre en scène ensemble. » Nous y sommes

« Lorsqu’on dit que j’aurais dû obéir au président comme une machine, renoncer à mes idées (…), que dit-on ? Que l’idée du bien public doit s’effacer devant celle du service rendu. »

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