Le Point

Du côté de chez Fred

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

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ne regrette-t-il pas, ce grand flagellant ? A quelle flèche en provenance de son passé n’offre-t-il pas sa poitrine, ses flancs, son coeur ? En vérité, Frédéric Mitterrand – prénom flaubertie­n mais patronyme de conquérant… – s’est fait un devoir de rôder dans chaque recoin de sa mémoire afin d’y exhumer des geysers de mélancolie… Du coup, cet ancien jeune homme déjà ex-ministre a pris l’habitude de ne pas s’épargner. Et il se fustige avec tant de zèle qu’on ne saurait douter du plaisir qu’il y prend. Veuf de l’idéal, il a ainsi pris le parti d’écrire comme il lécherait ses plaies.

Du côté de chez Fred il y a donc, dans ce nouveau livre, des gigolos, des grands bourgeois, des petites gens, des héritières fugueuses, des drogués, des ouvreuses de cinéma, des paumés de tous calibres. On y patrouille entre bouges et dîners en ville. Entre tragédie et dérision. Impossible, avec cet écrivain, cousin impudique d’un Modiano pastellisé par Pierre Le-Tan, de conjurer l’émotion qu’il convoque en virtuose.

Au départ, une anaphore lancinante qui donne le tempo de ce très beau confiteor : « Je regrette… Je regrette… Je regrette… » Et chaque regret – bientôt ennobli en remords – devient le prétexte d’un récit, d’un portrait, d’un appel de fiction. Les scènes se déroulent à Paris, à Hammamet, au Palace, en Russie, au Festival de Cannes… Avec Dalida, Spirou, le colonel Kadhafi, Jean-Claude Pascal ou des tapins d’occasion ; avec maman et les maris de maman ; avec des amants adorés et perdus par ce spécialist­e des amours malades. Chaque fois, Frédéric raconte, creuse, gémit, exhibe. On le plaint. On l’admire aussi, car il n’est pas facile d’être courageux à sa manière…

On aimerait pourtant dire à l’auteur de ces « Confession­s » – Frédéric adore la Tunisie qui vit naître saint Augustin… – qu’il n’est pas, au fond, plus mauvais ni plus ingrat qu’un autre. Qu’il devrait savoir que la vie de chacun se trame de rendez-vous manqués. Que les regrets, souvent, sont charmants – tandis que le remords est toujours (comme le suggère Spinoza) « une seconde faute ». Mais cet écrivain de race a-t-il envie de s’absoudre ? De guérir de son mal d’aimer ? Pas sûr. Il sait que la culpabilit­é, pour ceux de sa trempe, est le plus fiable des encriers. Et qu’il en jaillit parfois, comme ici, des pages toutes vibrantes d’une magnifique lumière noire

« Mes regrets sont des remords », de Frédéric Mitterrand (Robert Laffont, 340 p., 20 €).

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Frédéric Mitterrand

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