Le Point

Rocco mis à nu

Pendant deux ans, deux documentar­istes ont suivi Rocco Siffredi, le plus célèbre des acteurs de X, dans son dernier tournage. Rencontre avec le héros de « Rocco », film habité.

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Un film sur Rocco. Pas Rocco et ses frères. Rocco Siffredi. L’acteur, mieux, pire, la légende du film X. L’homme aux 1 500 films, aux 5 000 partenaire­s, aux trente ans de porno. On entend d’ici les réactions. D’un côté, les fans, ou ceux qui n’ont jamais osé et qui voient là l’alibi parfait, se frottant les mains – ou autre chose – en se disant : « On va voir ce qu’on va voir. » De l’autre, les tenants de la morale, enragés par la possible glorificat­ion du mal, du mâle – alpha, dominateur, labellisé rough sex – que pourrait être ce film. Qu’ils le sachent : ils seront déçus. Dans leurs attentes. Pas par le film. Profond, romanesque, esthétique, touchant. Qu’on soit familier ou totalement à l’écart de ce cinéma de genre, global et pourtant toujours clandestin. « Rocco », film pas porno sur le porno, a eu d’ailleurs beaucoup de mal à trouver des financemen­ts, quand bien même leurs auteurs, Thierry Demaizière et Alban Teurlai, avaient été encensés pour « Relève », leur film sur la danse à l’Opéra de Paris, ou leurs portraits d’anciens de la guerre d’Algérie. Tartufferi­e d’une époque où l’on veut bien voir le sexe partout, à condition qu’il serve à vendre des fromages ou des voitures ? Des petits rats à la bête de sexe, il y a pourtant une cohérence : d’une danse à l’autre, d’un corps à l’autre. « Rocco », c’est le portrait d’un forçat. Incroyable plan-séquence sous la douche où le corps se donne à voir, musculeux, tendu, veineux, perclus de douleurs. Un homme. Pas une bête. Pas une bite. Pardon pour le terme, mais c’est comme ça qu’il dit, Rocco Siffredi, quand il évoque cet organe hors nature hérité de son père cantonnier, qui dut errer, malheureux, avec son désir trop grand dans un village trop petit.

Rocco Tano, dit Siffredi, a tout de suite su qu’il fallait briller pour ne pas rester en berne avec ce double décimètre de chair et de sang. A cette particular­ité anatomique, qu’on ne verra qu’une seule fois dans ce film pas voyeur mais vraiment à voir, le natif des Abruzzes doit son ascension. Son assomption. Sa damnation. « J’ai fait un pacte avec le diable », dit-il dans les premières minutes du film. Vraiment ? « Quand j’étais gosse, je rêvais d’une baguette magique pour changer la vie de la famille », nous confirme-t-il. « Et vous vous êtes rendu compte que vous l’aviez déjà ? – Exactement. » Il rit, mais raconte l’esclavage que c’était, adolescent, ce désir fou, douloureux, obsédant, sur les plages, dans des maillots dont il précise qu’ils n’étaient pas comme ceux de maintenant, mais beaucoup plus moulants. Il nous raconte aussi ce cauchemar, récurrent. « C’est tous les quatre ou cinq ans, et je me réveille en sueur : une voix bizarre me demande de lui rendre ce qu’elle m’a donné. » L’acteur oscille en permanence : « Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à ma bite. Pas seulement parce qu’elle est grosse, mais parce qu’elle m’a sauvé. Elle a toujours été là pour moi. J’ai connu un acteur qui, sur un tournage à Prague, s’est tué parce qu’il ne bandait plus. » Et puis, quelques minutes après : « Quand tu dépends de ta bite, ta vie devient un enfer. » Dans le film, on voit le surmâle pleurer, dévoré par la culpabilit­é quand il évoque sa mère décédée, très pieuse, qui voulait qu’il soit curé. Sur les tournages, et jusque dans la salle de montage, il a toujours avec lui un petit cadre avec une photo d’elle.

Dans « Rocco », pendant 103 minutes, le spectateur suit l’acteur-producteur, qui, à 52 ans, a décidé de raccrocher, dans son ultime film. Réalisé au Kink de San Francisco, il est empreint d’une religiosit­é sincère, avec un Rocco qui demande à sa partenaire : « Dis-moi, je peux te crucifier ? » Il est toujours flanqué

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Damné. Dans « Rocco », l’acteur se livre comme jamais sur ses extases, et ses tourments.

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