Reconnaître un musulman à JFK
Après l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, l’écrivain s’interroge...
Question faussement secondaire à l’élection de Trump, qui a promis de chasser les musulmans : comment en reconnaître un dans un aéroport américain ? Interrogation technique, autant que celle-ci : « Comment financer le grand mur entre le Mexique et les Etats-Unis ? », ou celle-ci : « Comment faire pour chasser 3 millions d’immigrés clandestins en un mandat ? » Car, si le populisme est volubile, on le sait un peu maladroit des mains. Il fonctionne par la promesse qui ne peut être tenue mais qui agite les foules et les frustrations. Donc, dans ce cas, il s’agit de savoir comment on va faire pour reconnaître un musulman. Par l’habit ? Très peu probable : un musulman s’habille comme tout le monde et, nu, il rejoint notre universelle fragilité face aux pierres et aux angles. Les habits peuvent être folkloriques, mais, dans ce cas, ils indiquent une culture, une nation, des traditions, pas une religion. Par la barbe ? Peu évident à l’ère des hipsters. En surveillant ses invocations ? Ses signes ostentatoires ? Dans ce cas, il s’agit d’islamistes. Et, là aussi, c’est le musulman qui est victime. L’islamiste vole la religion, le ciel, l’au-delà, l’actualité et, à l’extrême, devient djihadiste et tue, dans le désordre, le musulman qui, à ses yeux, ne l’est pas suffisamment, et le reste de l’humanité si possible. On peut aussi opter pour l’identification par la peau. Mais, là, on est dans le domaine de la race et de l’épiderme, pas de la confession. Une religion est par essence invisible. Si elle le devient trop, elle est clergé, intégrisme, sectes, prosélytisme et menaces sur la propriété humaine du monde.
La promesse de Trump est, à la fin, un sujet fascinant : c’est un peu le corps donné au préjugé impossible. L’énonciation d’un fantasme. Celui d’un monde d’où l’on peut se retirer pour y élever le mur de la séparation, un rejet de la mondialisation par un rejet de l’universel ou du différent. Car, si le souci de préserver ses terres contre les invasions démographiques ou les attaques a réussi à se légitimer tragiquement, la « solution finale » est simplement du populisme. Là, par le sas de l’aéroport, on promet de restaurer une terre sacrée, en quelque sorte, et, on le sait, toutes les terres sacrées sont des terres où l’on tourne en rond. Fascinant rêve noir d’un certain Occident : après les phases d’extension, de cartographisation du monde, de dénomination et découvertes des caps et des cultures, voici la rétraction comme solution. Le retrait du monde. Le retour à un chez-soi purifié et fermé. Le souci sécuritaire légitime a rendu licite un fantasme de séparation définitive. Et, curieusement, la conversion a changé de direction : de l’ailleurs vers soi, et pas le contraire. Le prêche n’est plus centrifuge. Il est subi, pas affirmé. On ne veut pas éclairer le monde, seulement les frontières.
Possible, donc, d’identifier un musulman ? Par sa patrie d’origine inscrite sur son passeport ? Non : il existe des chrétiens arabes. Des Kurdes, des mazdéens, des athées, des passagers du monde, des déistes et des tièdes, autant que des laïques, démocrates ou ornithologues. Le drapeau n’est pas la peau ni le Dieu. Impasse, donc, pour la biométrie confessionnelle.
Ce rejet de l’autre par sa mise en isolation au nom d’une religion est surtout un désastre, rendu possible par la peur et l’agression. Il dessine le monde souhaité des cartographes religieux : voici la terre d’Allah, où vous allez vous prosterner, ou la terre de Trump, où vous serez tagué et courbé vers le sol, menottés – au choix, terrible. Comment reconnaître, du coup, un chrétien dans un aéroport « musulman » des Etats musulmans réunifiés ? Les islamistes en tracent déjà le portrait : il est chrétien, il a participé aux croisades et à l’invasion de la Palestine, il est blanc, grand, armé et mâche du chewinggum. Là aussi, on est l’absurde qui massacre.
A la fin, une question : l’Occident inaugure-t-il la désappropriation affolée du monde ?
« Un musulman s’habille comme tout le monde et, nu, il rejoint notre universelle fragilité. »