Renzi, le sursaut ou le chaos
Malgré ses réformes, l’Italie est de plus en plus vulnérable. Le référendum sera décisif.
Toujours est-il qu’affirmer aujourd’hui que l’économie française est trop libérale est à peu près aussi pertinent et réaliste que d’expliquer, hier, que l’Amérique de Reagan ou le Royaume-Uni de Mme Thatcher étaient trop socialistes. La France présente le niveau de dépenses publiques le plus élevé de tous les pays de l’OCDE derrière la Finlande (57 % du PIB en 2015, contre 44 % en Allemagne). En matière de dépenses publiques sociales, elle détient le record mondial (31,5 % du PIB) et celles-ci ont progressé de 7,2 points de PIB depuis 1990. Côté prélèvements obligatoires, la France est vice-championne du monde, (44,5 % en 2015), devancée par le Danemark. Quant aux fonctionnaires, c’est en France qu’au sein de l’Europe on en compte le plus (5,6 millions), soit 700 000 de plus par exemple qu’en Allemagne et ses 80 millions d’habitants. Il faut signaler au passage que le nombre de fonctionnaires en France a progressé de plus de 40 % depuis 1980, ce qui colle assez mal avec l’idée largement répandue d’une terrible saignée libérale dans les effectifs de la fonction publique. Si on ajoute à cela un marché du travail français qui figure, dans les classements internationaux, parmi les plus rigides, en raison notamment de licenciements plus difficiles et plus coûteux qu’ailleurs et le temps de travail le plus faible de tous les pays européens (1 646 heures par an pour un salarié à temps plein en France, contre 1 845 heures en Allemagne, une durée de vie au travail de trente-cinq ans en France contre quarante en Suède), on comprend mieux la volonté de rupture qui s’est exprimée lors de l’élection du vote de la primaire à droite et du centre. Elle est à la hauteur du surpoids de l’Etat dans la vie économique, elle est proportionnelle à l’épaisseur du Code du travail.
Il n’est pas tout à fait anodin non plus que la primaire ait désigné le seul candidat qui, lors des trois débats télévisés du premier tour, se soit inquiété à plusieurs reprises du niveau atteint par la dette publique et répété qu’avec un niveau atteignant 100 % du PIB la France se rapprochait dangereusement d’une zone où le défaut de paiement, en cas de remontée soudaine des taux d’intérêt, n’était plus une vue de l’esprit. Tous ceux d’ailleurs qui poussent des cries d’orfraie quand M. Fillon évoque 500 000 suppressions de postes de fonctionnaires devraient tout de même prendre conscience que si les finances publiques continuent à se dégrader au rythme actuel, ce sont 5,6 millions de fonctionnaires qui risquent d’être mis au chômage par un Etat dans l’incapacité de les payer. Il est tout de même un peu court d’expliquer, comme de nombreux commentateurs l’ont pourtant fait, que les gens qui ont voté pour François Fillon n’ont pas lu son programme économique. Et que, s’ils l’avaient lu, ils auraient été effrayés par la potion amèrement thatchérienne qu’il souhaite faire ingurgiter à l’économie française et auraient choisi un autre candidat. Le choix de M. Fillon l’« ultralibéral » révèle plutôt une prise de conscience de la situation économique « ultragrave » dans laquelle se trouve le pays après cinq années de la présidence « ultracatastrophique » de M. Hollande.
Alors, bien sûr, la France n’est pas la droite et on voit déjà la gauche hurler au risque, en cas d’arrivée de M. Fillon à l’Elysée, de casse d’un modèle social dont il reste quand même à prouver, avec 3,5 millions de chômeurs et 8,8 millions de pauvres, qu’il en reste encore un. Si d’aventure le « Thatcher de la Sarthe » gagne l’élection présidentielle, ses rivaux devront s’armer de patience. Remportant trois élections générales consécutives, la Dame de fer resta onze ans au pouvoir et effectua le plus long mandat ininterrompu d’un Premier ministre au Royaume-Uni au XXe siècle D epuis
son unité, il y a cent cinquante-cinq ans, l’Italie a souvent servi de laboratoire politique, inventant le fascisme avec Benito Mussolini, puis la magnat-télécratie avec Silvio Berlusconi. Après le Brexit et l’élection présidentielle américaine, le référendum constitutionnel du 4 décembre – qu’il soit favorable ou hostile à Matteo Renzi – pourrait provoquer un changement de donne majeur pour l’Italie. Imaginée par le Premier ministre pour être la clé de voûte de son action réformatrice, la révision de la Constitution prévoit la fin du bicaméralisme intégral, la réduction du nombre de parlementaires – le Sénat passant notamment de 315 à 100 membres – et le changement du mode de scrutin avec l’introduction d’une prime majoritaire. Autant de mesures qui ont pour objectif de réduire l’instabilité gouvernementale et de conforter la capacité d’action de l’exécutif.
De prime abord, le bilan de Renzi est flatteur. Il peut se prévaloir d’avoir modifié le modèle italien. Le Jobs Act a permis de créer 210 000 emplois depuis 2014 grâce à l’institution d’un contrat de travail à protection croissante, au licenciement négocié et au plafonnement des indemnités en fonction de l’ancienneté, aux incitations financières à l’embauche et à l’unification de l’assurance-chômage. Un programme de réduction d’impôts de 45 milliards d’euros a été lancé, dont 20 milliards sont destinés à relancer les investissements privés, notamment dans le secteur numérique. Enfin, l’Etat, son organisation territoriale et la fonction publique ont été restructurés.
Force est cependant de constater que l’économie se trouve plus que jamais dans une situation très fragile. Depuis 2010, l’activité a régressé de 4,1 % alors qu’elle progressait de 2,5 % dans la zone euro. La croissance plafonnera à 0,8 % en 2016 et à 0,6 % en 2017. Et ce en raison du blocage persistant de l’investissement et de la productivité. Un chômage de masse s’est installé, qui touche 11,4 % de la population active et près de la moitié des jeunes. Les diplômés s’exilent tandis que plus de 10 % des Italiens ont basculé dans la grande pauvreté. Par ailleurs, les inégalités régionales ne cessent de se creuser : au sud, la richesse par habitant est limitée à 16 000 euros par an, contre 37 000 euros au nord. Enfin, la dette publique poursuit sa course folle, culminant à 133 % du PIB, ce qui met le pays à la merci d’un nouveau choc financier avec la remontée des taux d’intérêt.
Trois facteurs spécifiques aggravent la vulnérabilité de l’Italie. La situation de faillite des banques, qui ploient sous
Les diplômés s’exilent tandis que plus de 10 % des Italiens ont basculé dans la grande pauvreté.