Le Point

Renzi, le sursaut ou le chaos

Malgré ses réformes, l’Italie est de plus en plus vulnérable. Le référendum sera décisif.

- Par Nicolas Baverez

Toujours est-il qu’affirmer aujourd’hui que l’économie française est trop libérale est à peu près aussi pertinent et réaliste que d’expliquer, hier, que l’Amérique de Reagan ou le Royaume-Uni de Mme Thatcher étaient trop socialiste­s. La France présente le niveau de dépenses publiques le plus élevé de tous les pays de l’OCDE derrière la Finlande (57 % du PIB en 2015, contre 44 % en Allemagne). En matière de dépenses publiques sociales, elle détient le record mondial (31,5 % du PIB) et celles-ci ont progressé de 7,2 points de PIB depuis 1990. Côté prélèvemen­ts obligatoir­es, la France est vice-championne du monde, (44,5 % en 2015), devancée par le Danemark. Quant aux fonctionna­ires, c’est en France qu’au sein de l’Europe on en compte le plus (5,6 millions), soit 700 000 de plus par exemple qu’en Allemagne et ses 80 millions d’habitants. Il faut signaler au passage que le nombre de fonctionna­ires en France a progressé de plus de 40 % depuis 1980, ce qui colle assez mal avec l’idée largement répandue d’une terrible saignée libérale dans les effectifs de la fonction publique. Si on ajoute à cela un marché du travail français qui figure, dans les classement­s internatio­naux, parmi les plus rigides, en raison notamment de licencieme­nts plus difficiles et plus coûteux qu’ailleurs et le temps de travail le plus faible de tous les pays européens (1 646 heures par an pour un salarié à temps plein en France, contre 1 845 heures en Allemagne, une durée de vie au travail de trente-cinq ans en France contre quarante en Suède), on comprend mieux la volonté de rupture qui s’est exprimée lors de l’élection du vote de la primaire à droite et du centre. Elle est à la hauteur du surpoids de l’Etat dans la vie économique, elle est proportion­nelle à l’épaisseur du Code du travail.

Il n’est pas tout à fait anodin non plus que la primaire ait désigné le seul candidat qui, lors des trois débats télévisés du premier tour, se soit inquiété à plusieurs reprises du niveau atteint par la dette publique et répété qu’avec un niveau atteignant 100 % du PIB la France se rapprochai­t dangereuse­ment d’une zone où le défaut de paiement, en cas de remontée soudaine des taux d’intérêt, n’était plus une vue de l’esprit. Tous ceux d’ailleurs qui poussent des cries d’orfraie quand M. Fillon évoque 500 000 suppressio­ns de postes de fonctionna­ires devraient tout de même prendre conscience que si les finances publiques continuent à se dégrader au rythme actuel, ce sont 5,6 millions de fonctionna­ires qui risquent d’être mis au chômage par un Etat dans l’incapacité de les payer. Il est tout de même un peu court d’expliquer, comme de nombreux commentate­urs l’ont pourtant fait, que les gens qui ont voté pour François Fillon n’ont pas lu son programme économique. Et que, s’ils l’avaient lu, ils auraient été effrayés par la potion amèrement thatchérie­nne qu’il souhaite faire ingurgiter à l’économie française et auraient choisi un autre candidat. Le choix de M. Fillon l’« ultralibér­al » révèle plutôt une prise de conscience de la situation économique « ultragrave » dans laquelle se trouve le pays après cinq années de la présidence « ultracatas­trophique » de M. Hollande.

Alors, bien sûr, la France n’est pas la droite et on voit déjà la gauche hurler au risque, en cas d’arrivée de M. Fillon à l’Elysée, de casse d’un modèle social dont il reste quand même à prouver, avec 3,5 millions de chômeurs et 8,8 millions de pauvres, qu’il en reste encore un. Si d’aventure le « Thatcher de la Sarthe » gagne l’élection présidenti­elle, ses rivaux devront s’armer de patience. Remportant trois élections générales consécutiv­es, la Dame de fer resta onze ans au pouvoir et effectua le plus long mandat ininterrom­pu d’un Premier ministre au Royaume-Uni au XXe siècle D epuis

son unité, il y a cent cinquante-cinq ans, l’Italie a souvent servi de laboratoir­e politique, inventant le fascisme avec Benito Mussolini, puis la magnat-télécratie avec Silvio Berlusconi. Après le Brexit et l’élection présidenti­elle américaine, le référendum constituti­onnel du 4 décembre – qu’il soit favorable ou hostile à Matteo Renzi – pourrait provoquer un changement de donne majeur pour l’Italie. Imaginée par le Premier ministre pour être la clé de voûte de son action réformatri­ce, la révision de la Constituti­on prévoit la fin du bicamérali­sme intégral, la réduction du nombre de parlementa­ires – le Sénat passant notamment de 315 à 100 membres – et le changement du mode de scrutin avec l’introducti­on d’une prime majoritair­e. Autant de mesures qui ont pour objectif de réduire l’instabilit­é gouverneme­ntale et de conforter la capacité d’action de l’exécutif.

De prime abord, le bilan de Renzi est flatteur. Il peut se prévaloir d’avoir modifié le modèle italien. Le Jobs Act a permis de créer 210 000 emplois depuis 2014 grâce à l’institutio­n d’un contrat de travail à protection croissante, au licencieme­nt négocié et au plafonneme­nt des indemnités en fonction de l’ancienneté, aux incitation­s financière­s à l’embauche et à l’unificatio­n de l’assurance-chômage. Un programme de réduction d’impôts de 45 milliards d’euros a été lancé, dont 20 milliards sont destinés à relancer les investisse­ments privés, notamment dans le secteur numérique. Enfin, l’Etat, son organisati­on territoria­le et la fonction publique ont été restructur­és.

Force est cependant de constater que l’économie se trouve plus que jamais dans une situation très fragile. Depuis 2010, l’activité a régressé de 4,1 % alors qu’elle progressai­t de 2,5 % dans la zone euro. La croissance plafonnera à 0,8 % en 2016 et à 0,6 % en 2017. Et ce en raison du blocage persistant de l’investisse­ment et de la productivi­té. Un chômage de masse s’est installé, qui touche 11,4 % de la population active et près de la moitié des jeunes. Les diplômés s’exilent tandis que plus de 10 % des Italiens ont basculé dans la grande pauvreté. Par ailleurs, les inégalités régionales ne cessent de se creuser : au sud, la richesse par habitant est limitée à 16 000 euros par an, contre 37 000 euros au nord. Enfin, la dette publique poursuit sa course folle, culminant à 133 % du PIB, ce qui met le pays à la merci d’un nouveau choc financier avec la remontée des taux d’intérêt.

Trois facteurs spécifique­s aggravent la vulnérabil­ité de l’Italie. La situation de faillite des banques, qui ploient sous

Les diplômés s’exilent tandis que plus de 10 % des Italiens ont basculé dans la grande pauvreté.

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