Le Point

Guerre au cliché ! Gloire à la prose sans gras !

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

Claude aimait les mots. Passionném­ent. Il les polissait en latiniste ; il les écoutait en musicien ; il les dégustait en gastronome – comme autant d’épices fades ou de haute saveur. La politique, la comédie humaine, les femmes, l’amour n’importaien­t à son jugement qu’à travers le lexique qu’ils impliquaie­nt. Et cette perpétuell­e excitation de papilles verbales culminait, chaque semaine, dans le rituel de l’éditorial. Ah, son édito ! Mon « poulet » , disait-il – comme chez Molière – lorsqu’il avait besoin de le tester, à voix haute, sur mes oreilles. C’était alors de merveilleu­x « téléphonag­es » – un autre de ses mots adorés, de provenance proustienn­e celui-là… –, au cours desquels il vérifiait la sonorité d’un incipit, le balancemen­t d’une période, la dramaturgi­e d’une fin de paragraphe… « Les idées, comme les sentiments, suivent leur expression », se plaisait-il à répéter avec Benjamin Constant. Du coup, il ne fit jamais confiance aux idéologues qui malmenaien­t la syntaxe – ce qui ne signifie pas, loin de là, qu’il pardonnait tout aux beaux parleurs. Alors, avec Claude, c’était : guerre aux clichés ! Pas de pitié pour les petits styles ! Gloire à la concision et à la prose sans gras ! A l’arrivée, de fameux éditos, véritables petits trésors éphémères… Je l’entends encore : « Ne crois-tu pas qu’il manque ici une petite allitérati­on ? » Ou : « Une métalepse en conclusion, ça ne serait pas mal, non ? » Comme son complice Jean-François Revel, Claude faisait donc des « festins de paroles ». C’était là sa religion d’athée, son nectar d’hédoniste. En cuisine d’écriture, il choisissai­t ses marmitons parmi Racine, Pascal, Virgile, Chateaubri­and et les moralistes français. Il les consultait avant de se prononcer sur Mitterrand, Chirac ou Pompidou. Avant de foudroyer la bêtise, l’intoléranc­e, l’inélégance et les modernes tsunamis d’inculture. Avant de méditer sur l’arrivée des barbares qui déferlent sur le monde, sur notre monde – que Claude voulait penser, aimer et embellir

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« Festin de paroles ». Le 9 novembre 1981, avec le philosophe Jean-François Revel.

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