Le Point

Ce qu’il écrivait dans « Le Point »

L’éducation, l’islam, les Anciens, l’impotence publique… Extraits d’articles et d’éditoriaux de Claude Imbert. Incroyable­ment actuels !

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ENSEIGNER (6 mars 1989) L’Enseigneme­nt – plus que la Famille et autant que l’Eglise – est le grand malade de nos temps de fracture. Le « Grand Transmette­ur » est en court-circuit. Il ne sait plus qui il est ni où il va. Ceux qui furent les hussards de la République sont devenus des éclaireurs déboussolé­s dans un no man’s land de chienlit. Derrière eux : les ruines des certitudes et des institutio­ns. Devant, le brouillard !

LA FRANCE FILLE AÎNÉE DE L’ISLAM (28 août 1993) On sait aujourd’hui que l’immigratio­n arabe est un fait acquis de notre collectivi­té. Il ne faut ni la diaboliser ni en sous-estimer les risques. Elle peut être un atout pour la nation par la vitalité de sa greffe. Elle peut, un jour, faire lever chez nous le ferment, finalement fécond, du métissage culturel. La France, qui en a vu d’autres, est apte à en faire son miel. Mais ce beau rêve tournera au cauchemar si n’est pas protégé, par mille soins, le lent et fragile phénomène de biologie sociale que suppose toute intégratio­n. (…)

L’idéal, entre nous, n’est pas que la France devienne la fille aînée de l’islam, mais qu’il s’étiole ou du moins se civilise chez nous au grand air des sciences et des libertés. Seulement, ne rêvons pas : pour cela, l’islam français doit chercher sa propre voie d’une laïcisatio­n relative. Qu’il regarde donc vers Cordoue et la tolérance de ces grands siècles passés plutôt que vers le fanatisme messianiqu­e de ses modernes inquisiteu­rs ! En attendant qu’il trouve ses « Lumières », souhaitons-lui du moins un Luther et un Calvin. L’IMPUISSANC­E PUBLIQUE (6 novembre 1993) Il n’y a pas de recette simple pour la reconstitu­tion d’un solide tissu démocratiq­ue. Elle se fera d’elle-même lorsque l’opinion pèsera, à ses dépens, les dommages que l’impuissanc­e publique cause à la communauté. On peut espérer qu’alors des hommes d’Etat trouveront l’art de réveiller la conscience collective avant que quelque malheur intérieur ou extérieur ne le fasse à leur place. Et, bien sûr, redire, ressasser que l’Education reste le vrai rempart des peuples démocratiq­ues contre la désertion des citoyens !

LA SOIF DE SENS (4 mars 1995) Des livres de philosophi­e, des marchands de sagesses divines et quelques illuminés font, ces temps-ci, de grands succès d’édition. Ainsi vers le ciel étoilé que les navettes spatiales disputent aux dieux de nos ancêtres, vers les éternels mystères de la condition humaine déferlent – c’est un signe – des livres bénins ou sévères. On y trouve des « psy » à la pensée courte et des princes de l’esprit, des marchands de sectes et des phares de la pensée. Mais l’aspiration commune, c’est de sortir des huis clos de l’ère du vide. Car pour que Jésus, Bouddha, Malebranch­e ou Platon tombent en pile dans les maisons de la presse il faut qu’un souci nouveau de traverser le miroir des apparences, qu’un besoin de méditation ou de simple réflexion, qu’une recherche de boussole, qu’une soif de « sens » renaissent sur les déserts de l’absurde.

LA MÉLANCOLIE FRANÇAISE (14 septembre 1996) L e q ue s t i o nnement l a nc i na nt d e s politiques sur la mélancolie française montre surtout que ce mal de fin de siècle les dépasse. Ils ne savent pas qu’un bloc d’Histoire leur est tombé sur la tête. Ils ont beau manipuler en tous sens leurs manettes pour exciter l’offre ou la demande, ils ont beau multiplier les cautères sur la jambe de bois du chômage, la mélancolie nationale perdure. Car elle vient d’ailleurs, de haut et de loin. Elle traduit dans une nation « gâtée par l ’Histoire et impropre à la modestie » l’angoisse diffuse d’un déclasseme­nt ou, au mieux, le désarroi d’un reclasseme­nt douloureux et encore énigmatiqu­e. Elle exprime, chez un peuple épris de clarté, l’impatience et le découragem­ent de se voir soumis à de nouvelles et obscures fatalités.

VOIS-TU, CHER USBEK… (13 juillet 2001) Alors, demandes-tu, ces Français sont-ils heureux ? A les entendre, oui : ils allongent leur vie, diminuent leurs douleurs, réduisent leur travail et les misérables ne crient plus famine. Pourtant, cher Usbek, tu serais stupéfait de voir comme ces insatiable­s se plaignent de leur sort. Dans Paris, chaque jour, plusieurs cortèges défilent pour exhaler des plaintes que personne n’écoute et porter des placets que personne ne lit. Certains, indispensa­bles à la vie publique, abusent de leur pouvoir de nuisance pour soumettre le Grand Vizir à leurs doléances. La foule des serviteurs de l’Etat conquiert des privilèges dont sont privés ceux qui enrichisse­nt la Nation et que I’Etat accable d’impôts. Car, vois-tu, le Vizir craint d’abord ses esclaves. Comme il craint les jeunes dont les violences bravent les janissaire­s, échappent aux magistrats et imposent leur impunité à la lâcheté des Parlements.

Ce que nous vivons, c’est en fait la désaffecti­on d’une religion dont nous fûmes les dévots, la religion du Progrès.

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