Le Point

Mon cher Claude…

L’éditoriali­ste de se rappelle ses joutes verbales, toujours courtoises, avec Claude Imbert.

- PAR JACQUES JULLIARD

J ’ai

vraiment croisé la route de Claude Imbert en 1999 quand JeanClaude Dassier, directeur de LCI, nous proposa de prolonger sur sa chaîne le débat hebdomadai­re qui nous avait réunis un an durant sur l’antenne d’Europe 1. Nous tombâmes aisément d’accord sur le nom de Jean-François Rabilloud, autre ancien d’Europe 1, pour arbitrer nos échanges. Cette collaborat­ion devait durer six ans jusqu’au jour où, de son propre chef, Claude décida de se retirer afin de se libérer de l’obligation d’être présent à Paris chaque weekend pour nos enregistre­ments. C’est Luc Ferry, autre ami et ancien du Point, qui lui succéda avec le même bonheur.

Pendant six ans, et au-delà, je me suis rendu à l’immeuble de TF1 avec l’allégresse que l’on éprouve lorsque l’on s’apprête à retrouver un ami, avec lequel on a beaucoup de choses à se dire : en l’occurrence, tout ce qui s’était passé durant la semaine. Notre conversati­on était naturelle, au point d’oublier parfois que nous étions à l’antenne, parce que chacun de nous était intéressé – ce qui est rare à la télévision – par ce que disait l’autre et l’écoutait avec plaisir. C’est « comme la navette sur un métier, dit un personnage de Claudel dans les “Conversati­ons dans le Loir-et-Cher”, l’idée qui passe comme une flamme d’un esprit à un autre et se développe en un jeu de propositio­ns alternées » .

Certes, la controvers­e était toujours présente. Claude Imbert était un homme de droite authentiqu­e, un conservate­ur ferme et tranquille. Je suis sûr que si nous étions encore l’un et l’autre à LCI vendredi prochain, il m’eût dit du bien de François Fillon. Il arrivait que les échanges entre nous devinssent assez vifs. Mais toujours sur un fond commun : Claude aimait citer ce mot de Valéry, selon lequel les seules conversati­ons vraiment fécondes sont celles qui opposent deux hommes qui sont d’accord.

Nous l’avions encore vérifié quand, sur la lancée de nos échanges hebdomadai­res, nous avions fait ensemble un livre d’entretiens, qui s’appelait tout simplement « La droite et la gauche ». Ou encore au jury du prix Aujourd’hui, où nous sommes souvent tombés d’accord sur le choix du livre à couronner. Il va sans dire pourtant que, lorsqu’il s’agissait des mets et des vins, je ne faisais que souscrire à ses choix et m’en trouvais toujours fort bien.

Bien qu’il fût de droite, Claude Imbert aimait l’humanité. Bien sûr, à travers les voyages, la musique, les jolies femmes, cela va de soi. Mais aussi les hommes tout simplement, en dépit, ou peut-être à cause d’un certain scepticism­e sur la nature humaine. Il en a été un beau spécimen.

Je reviens à nos rendez-vous télé. Un jour, dans la rue, je fus abordé par un inconnu qui me dit tout le bien qu’il pensait de notre émission, de l’esprit de liberté et d’écoute réciproque qui y régnait. Moi alors de prendre l’air bienveilla­nt et impercepti­blement détaché qui est de mise en pareil cas. Et lui, en me quittant, de me glisser d’un air complice : « Et puis, mais ne le lui dites pas, vous êtes bien meilleur que Julliard ! » J’eus beau, longtemps après, tourner et retourner cette propositio­n en abyme, je ne suis jamais arrivé à comprendre à qui le compliment s’adressait. Mais maintenant que tu nous as quittés, mon cher Claude, je peux bien te dire qu’à mon avis, c’est de toi qu’il parlait

Newspapers in French

Newspapers from France