Avez-vous lu André Siegfried ?
On parle beaucoup d’une étude publiée en 1913 par l’académicien pour analyser le fillonisme d’aujourd’hui. Explication de texte.
«L e granit vote à droite, le calcaire vote à gauche. » André Siegfried ne souffrait guère qu’on réduise son travail à cette formule lapidaire – qui est la sienne. Pourtant, celle-ci résume assez bien ce que le père de la géographie électorale, académicien et grand arpenteur de la France (et du monde), voulut exprimer dans son oeuvre maîtresse, « Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République ». Dans ce livre référence de la science politique, auquel se sont nourries des générations de politologues, Siegfried décrypte les déterminants géographiques et sociaux – la structure de la propriété, le rapport à l’autorité, l’emprise des structures traditionnelles (Eglise, aristocratie, bourgeoisie) – pour expliquer les attitudes et comportements électoraux. Depuis 1913, date de la première publication de l’étude, ces sociétés ont changé – surtout en Bretagne et en Normandie, où la gauche a élargi son assise. Mais les courants de fond historiques restent les mêmes, en particulier en Vendée, dans le Maine et l’Anjou, dans cette France de l’Ouest de laquelle François Fillon est issu et d’où il puise son corpus de valeurs qui lui ont permis de structurer son offre politique et de séduire une large part de l’électorat traditionnel de la droite. Dans ces terres continuent de se jouer l’affrontement entre deux France arrimées chacune sur ses principes, la droite conservatrice catholique face à la gauche républicaine et laïque. Les lignes ont bougé depuis un siècle – le républicanisme et le modernisme du nouveau chef de la droite, contrairement à ce que certains de ses détracteurs voudraient faire croire, ne font aucun doute – mais les rapports de forces se nourrissent des mêmes constantes historiques. Les observations d’André Siegfried permettent encore d’éclairer l’actualité, comme on en jugera dans les extraits suivants. André Siegfried (18751959) Ecrivain, académicien. Cent ans après la Révolution, près d’un demi-siècle après le 4 Septembre, le gouvernement de la République n’est pas encore tout à fait chez lui dans cette partie de la France. Il y a établi des colonies de fonctionnaires, un peu à la façon d’une occupation militaire qui tient solidement les centres principaux et les routes essentielles. La République est ainsi fortement assise dans les grandes villes et dans la plupart des petites (déjà bleues du reste sous la Révolution), ainsi que sur la périphérie côtière ; mais dans les campagnes de l’Ouest intérieur, surtout dans les campagnes de population éparse, la pénétration républicaine n’est pas profonde. Alors que les influences adverses sont locales, enracinées, toujours présentes, l’action gouvernementale apparaît de son côté comme intermittente et à plusieurs égards étrangère. Elle est étrangère par les hommes dont elle se sert : préfets inconnus hier et qui partiront demain, candidats trop souvent exotiques (car on n’en trouve pas toujours d’autres pour se faire battre), fonctionnaires parfois autochtones, mais combien de fois aussi dédaigneux d’un milieu où ils se sentent exilés. Elle est étrangère encore par l’esprit et les principes qui la dirigent : égalitaire dans une société hiérarchique, laïque dans une société catholique. Les lois qu’elle produit et dont elle se réclame sont, plus d’une fois sur deux, antipathiques à l’opinion locale. Si l’oeuvre politique et sociale de la République avait été soumise, dans l’Ouest, à un référendum, il est probable qu’une bien petite part seulement en eût subsisté ! (…)
Contre l’orientation de gauche Catholique, clérical, conservateur et d’esprit peu républicain, l’Ouest n’est pas pour la République une réserve des mauvais jours. Invariablement, au contraire, il s’associe à tous les mouvements d’attaque ou de résistance contre l’orientation de gauche. C’est en faisant vibrer son attachement à l’Eglise, sa crainte de l’anarchie, son antipathie pour les sectaires de l’anticléricalisme qu’on rallie le plus sûrement, dans son domaine, le maximum des voix de droite : c’est le cas par exemple en 1877, 1885, 1889, 1902 et 1906. Le résultat des élections qui se font ou se feront dans l’avenir sur ce terrain ne peut laisser le moindre doute. Quand par contre les républicains peuvent montrer que la paix religieuse règne (au moins de leur