Le Point

Trump contre l’e-oligarchie

Un urbaniste, Joel Kotkin, décrypte le vote Trump par l’apparition d’une nouvelle lutte des classes.

- PAR JULIEN DAMON*

Surprise quasi divine pour les uns, profonde sidération pour les autres, l’élection de Donald Trump est en quête d’explicatio­ns. Les journaux américains ont produit des listes d’ouvrages récents pouvant aider à comprendre, rétrospect­ivement, l’issue du scrutin. Tous ces livres, ou presque, insistent sur la polarisati­on sociale et la crise des classes moyennes. S’il avait lu un livre lui permettant de se forger une doctrine, Donald Trump aurait pu choisir celui de l’urbaniste Joel Kotkin « The New Class Conflict » (Telos, 2014). Directeur de l’excellent site newgeograp­hy.com, Kotkin n’est pas un partisan du nouveau président. Le lendemain de son élection, il s’est inquiété de ses capacités à assurer ses fonctions en accord avec la Constituti­on. En tout état de position politique, sa thèse est une puissante explicatio­n du succès trumpien, dans un pays où les minorités deviennent majoritair­es et où, surtout, les classes sociales sont de plus en plus opposées. Les Etats-Unis vivent, en effet, de façon relativeme­nt sourde, mais très puissante, une nouvelle lutte des classes. Ce n’est pas le prolétaria­t qui s’élève contre les capitalist­es, ce sont les classes moyennes qui se prolétaris­ent. Marx, dans une période de révolution industriel­le, avait prédit cette prolétaris­ation. Kotkin la déplore en période de révolution numérique. Il décrit l’affirmatio­n d’une nouvelle stratifica­tion sociale. Au sommet, une oligarchie, soutien de Hillary Clinton, tire classiquem­ent son pouvoir des puissances de l’argent et, maintenant également, des géants du numérique. Cette e-oligarchie se distingue des précédente­s, car elle n’a pas vraiment besoin de la classe moyenne. Elle s’appuie sur ce que Kotkin appelle une nouvelle cléricatur­e, issue des université­s, présente dans les médias et aux commandes de l’industrie du divertisse­ment. Ces clercs distillent une idéologie (durabilité environnem­entale, densité urbaine, valorisati­on de l’amusement) qui se situe aux antipodes du rêve américain. Au moins tel qu’imaginé par cette classe moyenne à laquelle Trump n’appartient absolument pas, mais dont il a su repérer les frustratio­ns. Fondamenta­lement, la société américaine bifurque. Le pays se stratifie en classes sociales de plus en plus étanches. D’un côté, une classe moyenne inférieure, qui se rapproche des plus mal lotis. De l’autre, une population favorisée, qui a tout de même besoin de quelques défavorisé­s pour assurer des services. Cette élite vit sur le modèle de la « ploutonomi­e » : toute l’économie dépend des dépenses de quelques très riches. Kotkin relève que la classe moyenne s’identifie en partie à droite au Tea Party et en partie à gauche à Occupy Wall Street : tous unis contre le 1 % le plus aisé. Ce n’est pas seulement l’Amérique des petits Blancs qui a pu se retrouver derrière Trump, mais l’ensemble des population­s déclassées et se sentant dédaignées. La victoire de Trump résulte de l’effondreme­nt de la confiance dans les institutio­ns publiques. « Rendre sa grandeur à l’Amérique » aura été le slogan génial d’une campagne reposant sur un incontesta­ble étiolement du rêve américain. Reste à savoir comment le revivifier, de façon unifiée

Professeur associé à Sciences po. Dernier livre paru : « 100 penseurs de la société » (PUF, 2016).

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