L’Europe connaît la recette de la paix en Syrie
Quatre siècles séparent la guerre de Trente Ans et le conflit syrien, deux tragédies comparables. En 1648, l’Europe a su, grâce à une diplomatie innovante, accoucher d’un traité de paix. Une paix sans vainqueur, mais durable.
L’Europe détient-elle, sans le savoir, la clé de la paix en Syrie ? Dans les efforts diplomatiques voués à dénouer ce conflit chaque jour un peu plus atroce, elle est la grande absente. Pourtant, elle pourrait exhumer de sa propre histoire des archives jaunies susceptibles de faciliter un règlement. La paix de Westphalie, dans laquelle s’illustra le cardinal Mazarin, fut un chef-d’oeuvre de diplomatie et de réalisme. Ces traités signés en 1648 mirent un point final à l’atroce guerre de Trente Ans ; ils fondèrent le concept d’Etat moderne ; ils tournèrent la page des guerres de Religion sur notre continent. Pour y parvenir, ils inventèrent des mécanismes et instruments pacifiques qui pourraient, encore aujourd’hui, prouver leur efficacité s’ils étaient transposés au Proche-Orient.
Le cataclysme qui ravage la Syrie depuis près de six ans ressemble comme un frère diabolique à celui qui dévasta l’Allemagne il y a près de quatre siècles. Des historiens en ont souligné la similitude. Si les Européens cessaient un instant d’observer la grande guerre syrienne à travers les seuls prismes du terrorisme ou des réfugiés, pour se soucier de la vision globale, ils pourraient y contempler le miroir fidèle de leur propre tragédie passée. Au XXIe siècle comme au XVIIe, plus d’une douzaine d’Etats ou de groupes protagonistes ont cherché à vider leurs querelles sur le champ de bataille, sans qu’aucun n’arrive à forcer le destin. Entre les deux épisodes, les parallèles sont nombreux : • Un soulèvement local contre un régime autoritaire déclenche en cascade des conflits qui s’enchevêtrent et deviennent inextricables. En 1618, la déflagration fut allumée par une révolte des princes protestants de Bohême contre l’empereur Ferdinand II de Habsbourg, chef du Saint Empire romain germanique. En 2011, l’étincelle partit d’une manifestation de citoyens non armés à Deraa, dans le sud de la Syrie. Ils dénonçaient le régime de Bachar el-Assad, dont les gestapistes locaux avaient arrêté et torturé une douzaine d’enfants de la ville. • En instrumentalisant un antagonisme religieux, des pouvoirs régionaux exacerbent les oppositions doctrinales et attisent les fanatismes. A l’époque, le différend opposait protestants et catholiques qui, malgré la paix d’Augsbourg (1555), n’avaient toujours pas trouvé comment coexister. L’affrontement actuel met aux prises les sunnites, soutenus par l’Arabie saoudite, et les chiites, épaulés par l’Iran. Les premiers dirigent la plupart des Etats arabes, les seconds sont au pouvoir en Irak et, dans leur version dissidente alaouite, en Syrie. • Face à l’embrasement, des puissances interviennent pour défendre leurs intérêts. Ces ingérences ne font qu’empirer le malheur. Au XVIIe siècle, la Suède vola au secours des protestants allemands. La France prit la même décision car elle voulut saisir l’occasion de porter un coup décisif aux Habsbourg d’Espagne et d’Autriche. La guerre ne s’en trouva que prolongée. Au XXIe siècle, la Russie porte à bout de MiG le régime Assad, la Turquie dépêche ses blindés pour empêcher les Kurdes de gagner trop de terrain, les Etats-Unis et la France bombardent l’Etat islamique du haut des airs. L’équilibre de la terreur règne sur le terrain. • Des atrocités innombrables sont commises contre les civils. Ils sont pris en otages, torturés ou massacrés. Ce fut par exemple le sac de Magdebourg, en 1631, où les troupes impériales catholiques passèrent des milliers de personnes au fil de l’épée et violèrent femmes et enfants. C’est aujourd’hui le siège d’Alep, où les 300 000 habitants des quartiers orientaux, aux mains des rebelles anti-Assad, sont assiégés et bombardés depuis quatre ans par le régime. • Des images chocs bouleversent les opinions. La photo n’existait pas voilà quatre siècles mais les eaux-fortes des
La paix de Westphalie était fondée sur l’impératif de ramener l’ordre, pas sur une injonction morale.