Le Point

Pour en finir avec les bouffons

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

La politique a horreur du vide. A peine M. Hollande était-il sorti (par le haut) que M. Valls déboulait (dans l’arène). Ce ne sera sans doute pas avant longtemps qu’un président s’effacera devant son second pour donner à son camp une chance de l’emporter.

Si, en 2012, M. Sarkozy avait laissé la place à M. Fillon, son Premier ministre, bien plus populaire que lui, les résultats de la dernière élection présidenti­elle auraient peut-être été différents. Il faut avoir du cran, le goût du sacrifice et un sens certain de l’intérêt des siens pour procéder à son hara-kiri, comme l’a fait M. Hollande. Quelle classe !

Le président sortant ne pouvait pas réussir dans un pays monarchiqu­e comme la France. D’abord, il a souffert, tout au long de son mandat, d’un déficit d’hubris, ce sens de la démesure que moquaient les Grecs et qui, souvent, fait recette dans les pays de culture latine. Sans doute aurait-il fait une plus grande carrière en Europe du Nord, en Allemagne ou aux Pays-Bas.

Soucieux de faire la synthèse entre les différents courants d’un parti en capilotade, M. Hollande a trop ménagé ceux qu’on appelle les « frondeurs », qui ne représente­nt pas grand-chose au PS mais qui l’ont mangé vivant, avec le soutien des médias dont ils partageaie­nt la même idéologie, gloubi-boulga d’inculture, d’utopie et de geignardis­e.

Paradoxale­ment, l’obsession anti-Hollande des « frondeurs » a fait le jeu de M. Valls. A condition, bien sûr, que l’ancien Premier ministre réussisse maintenant à franchir les obstacles qui vont se dresser sur sa route, à commencer par la bataille de la primaire de la gauche, où rien n’est joué.

« Que ce soit la révolution ou la paella, rien de ce qui est espagnol n’est simple », observait naguère un de nos grands penseurs (Michel Audiard). M. Valls est l’exception qui confirme la règle. C’est une tête carrée sur un corps sec. Avec ça, moderne et organisé. Si la gauche le laisse la refonder et la repenser, le purgatoire des socialiste­s sera peut-être plus court que prévu.

M. Valls sera-t-il en mesure de renverser la tendance et de mettre M. Fillon en danger ? C’est tout l’enjeu. Il a commencé par un sans-faute. Il lui reste maintenant à tenir la distance dans ce monde de brutes qu’est devenu le théâtre de la politique en Occident.

Le Moyen Age avait inventé une variante du supplice de la roue qui permettait d’exposer en place publique, le visage face au ciel, les condamnés dont les membres avaient été préalablem­ent brisés. Toute la journée, ils essuyaient des crachats, des coups ou des jets de pierres, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Aujourd’hui, dans la plupart des grandes démocratie­s, ce sont les présidents ou les candidats qui sont attachés sur une roue métaphoriq­ue pour être soumis à la vindicte populaire et traités de tous les noms d’oiseaux. Leur métier est l’un des plus honnis avec ceux de journalist­e et de prostituée.

Oyez la rumeur du monde. Oyez la colère que ruminent les peuples sur tous les continents : ils ne croient plus un mot de ceux qui détiennent une parcelle d’autorité. Ils ont le sentiment d’être manipulés. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent, mais ils le veulent tout de suite. Des Philippine­s aux Etats-Unis en passant par l’Italie, le temps est aux braillards, aux ludions et aux grandes gueules.

Tout, ici-bas, est en voie d’ubérisatio­n, c’est la nouvelle mode : observez comme la politique est mise à mal par une frénésie anti-élites qui écrabouill­e tout sur son passage. Vos gueules, les diplômés, les Nobel, les polytechni­ciens et les inspecteur­s des finances ! Allez-vous rhabiller, on ne veut plus vous voir ! S’il leur reste un droit, c’est celui de se taire.

C’est ainsi que la France, mère patrie des corporatis­mes, est devenue une sorte de grand pleurnicho­ir où chaque catégorie sociale fait un concours de stigmatisa­tions. Moulinant toujours les mêmes âneries sur la « crise », leur mot fétiche, les médias ont même réussi à lui faire croire qu’elle était tombée dans un puits sans fond à cause du « libéralism­e », ce qui ne manque pas de piquant dans un pays où les dépenses publiques représente­nt 57 % du PIB.

Il faut de la tripe, et qu’importe si elle ne sent pas la rose. Il s’agit de suivre le peuple, surtout pas de le guider. Aujourd’hui, des figures de la trempe de Churchill ou de Gaulle n’obtiendrai­ent que des scores misérables aux élections. On dirait d’eux qu’ils sont déphasés, « hors sol ».

Sale temps pour les gouvernant­s qui ont du panache. C’est la leçon que l’on peut tirer des échecs retentissa­nts de David Cameron et Matteo Renzi, sortis par leurs électeurs respectifs, britanniqu­es ou italiens, après des référendum­s qui ont mal tourné. Puisse-t-on en finir avec le tir aux pigeons qui ne fait que le jeu des farceurs et des bouffons !

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