Lunettes roses pour bilan noir
Le discours de renoncement de François Hollande est à l’image de son mandat : drapé dans le déni.
La
décision de François Hollande de ne pas être candidat à l’élection présidentielle est une bien mauvaise nouvelle pour les éditorialistes qui, depuis quatre ans et demi, trouvaient dans sa politique économique une source inépuisable d’inspiration. Pour susciter l’intérêt des lecteurs, il suffisait de souligner l’incohérence et l’insuffisance des mesures prises, de déplorer l’absence de réformes et de résultats, de constater la faiblesse de la croissance et la hausse du chômage. De mettre en avant le décalage entre les paroles et les actes, de pointer le décrochage de l’économie française vis-à-vis de ses partenaires. Avec tous ses échecs, la politique économique du quinquennat aura été une aubaine journalistique. Un grand merci, donc, à celui qui l’a inspirée.
Comme un cadeau d’adieu, M. Hollande a même eu la délicatesse, lors de l’annonce de son renoncement, d’offrir, soigneusement emballé, un ultime thème d’éditorial en affirmant : « Aujourd’hui, au moment où je m’exprime, les comptes publics sont assainis, la Sécurité sociale est à l’équilibre et la dette du pays a été préservée. » Qu’il soit permis de rappeler, une dernière fois, quelques vérités brutes et chiffrées.
Selon la Commission européenne, la France affichera cette année un déficit public représentant 3,3 % du PIB, soit le déficit le plus élevé, après celui de l’Espagne (4,6 %), de tous les pays de la zone euro. Plus élevé encore que celui de l’Italie (2,4 %), de la Grèce (2,5 %), du Portugal (2,7 %), sans même bien sûr parler de l’excédent budgétaire de l’Allemagne (+ 0,6 %). Une place de cancre qui n’a rien d’étonnant, puisque les dépenses publiques n’ont, contrairement aux promesses, pas été réduites et atteindront 56,5 % du PIB en 2016, le plus haut niveau, derrière la Finlande (57,3 %), de toute la zone euro. « J’ai voulu placer la France au premier rang » , a expliqué dans sa déclaration télévisée M. Hollande. En matière de dépenses et de déficit publics, il faut reconnaître qu’il a très bien réussi. La France est même devenue cette année, selon l’OCDE, championne du monde des dépenses publiques sociales, qui représentent 31,5 % du PIB.
« La Sécurité sociale est à l’équilibre » , a revendiqué avec fierté le chef de l’Etat. Un équilibre très relatif : selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale, le déficit de l’ensemble des régimes de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’élèvera à 6,9 milliards d’euros en 2016, dont 4,1 milliards d’euros pour la seule branche maladie. Et pour 2017, selon la Commission, « le compte tendanciel, avant toute mesure d’économies, prévoit une dégradation du solde de l’ensemble des régimes de base et du FSV de 3,3 milliards d’euros. Le déficit de la Sécurité sociale s’élèverait ainsi à 10,2 milliards d’euros, un niveau équivalant à 2015 ». De fait, la France continue d’être le seul grand pays à financer sa protection sociale à crédit, le seul où l’on considère comme tout à fait normal que nos enfants et nos petits-enfants paient nos achats de Doliprane.
Peut-être faut-il mettre sur le compte de l’émotion cette phrase très étrange du président expliquant que « la dette a été préservée » . Comme s’il s’agissait d’un trésor national aussi précieux que la tour Eiffel, la Joconde ou le château de Versailles. Non seulement la dette publique a été parfaitement « préservée » pendant le quinquennat, mais elle a même joliment prospéré. Passant, selon l’Insee, de 1 827,1 milliards d’euros fin mars 2012 à 2 170,6 milliards
« La dette a été préservée. » Comme s’il s’agissait d’un trésor national tel que la tour Eiffel ou la Joconde.