Le Point

La Chine a remporté l’élection américaine

« America first », a promis Trump, qui pourrait pourtant ouvrir un boulevard à Pékin.

- Par Nicolas Baverez

L ’Histoire

est ironique. Donald Trump a été élu avec le projet de restaurer la grandeur de l’Amérique. Or la première conséquenc­e de son programme isolationn­iste et protection­niste pourrait bien être l’avènement de la Chine comme puissance globale du XXIe siècle. Trump, qui multiplie les incidents diplomatiq­ues avec Pékin à propos de Taïwan – mais aussi avec l’Inde au sujet du Pakistan ou avec le Royaume-Uni en recommanda­nt la nomination de Nigel Farage comme ambassadeu­r à Washington –, a réaffirmé par ailleurs sa volonté d’engager une confrontat­ion commercial­e et monétaire avec la Chine, notamment en taxant à hauteur de 45 % ses exportatio­ns. Il est vrai que l’excédent commercial de Pékin avec Washington a progressé de 50 à 365 milliards de dollars depuis 2001 et que le dumping comme la sous-estimation du yuan, de nouveau dévalué de 10 % depuis août 2015, ont favorisé la transforma­tion de la Chine en usine du monde. Pour autant, les entreprise­s américaine­s ont joué un rôle déterminan­t dans ce processus en délocalisa­nt leur production : un conflit commercial dur avec la Chine détruirait ainsi jusqu’à 5 millions d’emplois aux Etats-Unis. Par ailleurs, la relance budgétaire portera le déficit public à 6,2 % du PIB et augmentera la dette des Etats-Unis, dont la Chine est le premier créancier. Enfin, une guerre commercial­e et monétaire entre les deux premières économies mondiales provoquera­it une course au protection­nisme et aux dévaluatio­ns compétitiv­es, indissocia­bles d’une brutale récession.

Le virage protection­niste dépasse au reste la relation bilatérale avec la Chine. L’annonce du retrait des Etats-Unis enterre le pacte transpacif­ique qui constituai­t le volet commercial de la stratégie du pivot vers l’Asie et isolait Pékin tout en créant un levier pour l’obliger à modifier son modèle de développem­ent. Après le revirement de Barack Obama en Syrie, la fiabilité des Etats-Unis et la confiance que peuvent leur accorder leurs alliés se trouvent une nouvelle fois prises en défaut. Au Japon notamment, Shinzo Abe avait pris un risque politique important en soutenant le TPP. Simultaném­ent, Donald Trump entend accentuer la stratégie de désengagem­ent de l’Amérique poursuivie par Barack Obama après les guerres perdues d’Irak et d’Afghanista­n pour redessiner les alliances des Etats-Unis en Europe et en Asie, accusées d’être coûteuses et archaïques. Et ce au moment même où les Philippine­s et la Malaisie basculent vers Pékin.

Le repli économique et stratégiqu­e de l’Amérique marque une forme de retour au début de son Histoire : de 1787 à la fin du XIXe siècle, elle est entièremen­t tournée vers la conquête du continent et la difficile recherche d’une identité à travers la tragédie de la guerre de Sécession. Ses conséquenc­es sur le système internatio­nal sont cependant à la mesure du rôle prédominan­t joué par les Etats-Unis depuis 1945. Donald Trump symbolise la vague populiste qui mine la démocratie, au moment où elle se trouve concurrenc­ée par les démocratur­es, qui revendique­nt une meilleure capacité à assurer à leurs peuples la prospérité et la sécurité. Le repli des Etats-Unis et l’affaibliss­ement de leurs alliances stratégiqu­es actent la désocciden­talisation du monde.

Un conflit commercial dur avec la Chine détruirait jusqu’à 5 millions d’emplois aux Etats-Unis.

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