Le Point

Macron et Valls, les affranchis

Enfants de Hollande et du rocardisme, ils sont rivaux… pour liquider la vieille gauche. Récit.

- PAR EMMANUEL BERRETTA ET CHARLOTTE CHAFFANJON

Le conclave se réunit une dernière fois dans le salon Delacroix de l’Assemblée nationale. Ils comptent et recomptent. Emmanuel Macron pense encore que « ça passe » . « Cela ne passe pas. A moins de 10 voix d’avance, on n’y va pas » , rétorque le Premier ministre. Le ministre de l’Economie tente d’argumenter une dernière fois, sous les yeux du secrétaire d’Etat aux Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, du patron du groupe PS, Bruno Le Roux, et du rapporteur du projet de loi, Richard Ferrand. Mais il revient au Premier ministre d’avoir le dernier mot. François Hollande a déjà donné son accord de principe. Manuel Valls finit par dégainer le 49.3, l’arme tant redoutée par Macron. Quelques minutes plus tard, il entend, ce 17 février 2015, dans l’Hémicycle, le chef du gouverneme­nt annoncer que sa loi pour la croissance et l’activité ne sera pas soumise au vote. Trop de risques qu’elle soit rejetée. L’exécutif passe en force. « Macron n’a rien dit, personne n’a rien dit. Mais personne n’était dupe de rien, se souvient Richard Ferrand, aujourd’hui secrétaire général du mouvement d’Emmanuel Macron. Il était comme un marathonie­n à qui on fait un croche-patte à 10 mètres de l’arrivée. » Des mois de travail, 400 heures de débats à l’Assemblée, 9 000 amendement­s étudiés, 2 000 amendement­s adoptés… balayés d’un trait de plume sur un parapheur. « Valls joue sa musique, sa partition, il flingue tous les éventuels dangers » , observe alors un ministre spectateur de ce croc-en-jambe.

C’est ce jour-là que s’est engagé le féroce combat entre les deux hommes. Entre un Premier ministre qui trouvait que son ministre prenait trop de place, sur son terrain de jeu de surcroît, celui du social-libéralism­e assumé, du réformisme total, de la transgress­ion, de la jeunesse, de la modernité, et un ministre de 37 ans qui a décidé qu’il ne se laisserait plus piétiner, qu’il n’a aucune raison d’attendre son tour vingt ans dans l’antichambr­e du pouvoir. Une lutte au couteau qui se poursuit aujourd’hui entre deux ambitions lancées à pleine vitesse sur le chemin de la présidenti­elle, dégagé pour eux par François Hollande. Un combat au sein même du réformisme, qui pose la question de savoir si ces deux-là sont capables de propulser la gauche dans le XXIe siècle, et sur quelles bases.

Putschiste et « tireur couché ». Valls et Macron, c’est la guerre de deux mondes qui ne se sont jamais vraiment croisés. Ils lévitaient autour de François Hollande, qu’ils ont quitté, ou trahi, chacun à sa façon. Macron radicaleme­nt, en démissionn­ant du gouverneme­nt deux ans après sa nomination au ministère de l’Economie. Valls par un coup de pression monumental – « un putsch » , hurlent les hollandais –, en disant qu’il était prêt au combat alors que le président n’avait pas encore renoncé. Pour Macron, Valls a trahi tel « un tireur couché » , attaque-t-il dans Le JDD. Pour Valls, Macron n’agit que par « ambition personnell­e ». Et lorsqu’il se déclare à la présidenti­elle à Evry, lundi, la phrase la plus marquante de son discours est dirigée comme un missile contre Emmanuel Macron : « La réussite ne se mesure pas au montant du compte en banque, elle se mesure à la lumière que l’on a dans les yeux. » En janvier 2015, Macron avait traumatisé la gauche en déclarant : « Il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardai­res. » Le match est lancé entre les deux affranchis de la hollandie, avec

« Macron est un pro-business au sens philosophi­que, Valls un pro-business au sens pragmatiqu­e. » Jean-Marie Le Guen

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