Libérez votre cerveau !
Pour l’essayiste, Valls et Macron doivent se libérer du socialisme et renouer avec l’héritage révolutionnaire.
Il n’y a aucune raison fondamentale pour que la gauche ne soit pas libérale. Monique Canto-Sperber a amplement décrit la longue tradition qui, depuis Proudhon et la pensée de l’autogestion, ancre la gauche dans le camp des libertés, en nourrissant une défiance de principe contre un Etat toujours tenté par l’autoritarisme. Politiquement, on retrouve sans surprise les libéraux du XIXe siècle à gauche de l’Hémicycle – à commencer par Frédéric Bastiat, qui, pour défendre la liberté syndicale ou le libre-échange, luttait à la Chambre contre la droite patronale et protectionniste.
Rien de tout cela dans le quinquennat de François Hollande et ses gouvernements, qui ont incarné un socialisme raisonnable, gestionnaire, ouvert sur l’entreprise, mais résolument socialiste. L’obsession du vivreensemble n’est qu’une version idéologiquement allégée du collectivisme. Vivre ensemble, c’est accepter la soumission de l’individu au groupe et l’organisation de la société par les experts de l’intérêt général. L’oxymore journalistique de « social-libéral » est une insulte à la philosophie politique : Hollande a d’ailleurs pris soin de la réfuter en réitérant, lors de son au revoir, son identité « socialiste » .
Les mesures mises en oeuvre par le gouvernement Valls furent à la hauteur de cet idéal : encadrement administratif des loyers, montée en puissance de l’investissement public via la BPI, nationalisation progressive de la santé, centralisation renforcée de l’Education nationale, affirmation d’une laïcité agressive, sanctuarisation de la fonction publique, regroupement autoritaire des universités, confiscation des assurances-vie. Même le CICE, avec son exigence (fût-elle fictive) de « contreparties », reflète une foi indécrottable dans l’économie administrée. Quant à la fameuse loi El Khomri, elle a accouché d’un monstre bureaucratique : le fameux article 2, censé simplifier la négociation d’entreprise, fait pas moins de 180 pages. Sous l’impulsion personnelle de Manuel Valls, le dirigisme a perdu ses dernières pudeurs en s’élargissant aux libertés individuelles : la loi renseignement a installé une surveillance généralisée sur nos métadonnées via des algorithmes secret-défense, tandis que l’état d’urgence est prolongé, semble-t-il, ad infinitum. Le mégafichier des données personnelles est venu parachever cette oeuvre liberticide, transformant la France en un Etat policier où les contre-pouvoirs judiciaires ont été considérablement affaiblis. On comprend mieux les éloges officiels à Castro. Par contraste, il semble naturel qu’Emmanuel Macron tente de ressusciter un véritable libéralisme de gauche. Sur le plan théorique, son intention, égrenée au fil de ses récentes publications, est claire : redonner à l’individu sa capacité de choix et d’action. Contrairement au libéralisme disons « de droite », qui reste centré sur les libertés négatives (la liberté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui), le libéralisme macronien embrasse logiquement l’idée d’une « sécurité individuelle » impliquant une part de liberté réelle. L’Etat a un rôle clé à y jouer : celui de donner à l’individu les moyens de son autonomie – et de pulvériser les corporations qui l’entravent.
Cette vision, fidèle à l’héritage révolutionnaire, commence à prendre corps dans les premières propositions de Macron. L’idée de nationaliser l’Unédic et d’ouvrir le droit au chômage aux indépendants est radicalement innovante : il ne s’agit pas d’équilibrer les comptes (socialisme gestionnaire) ni de punir les chômeurs (libéralisme de droite), mais de transformer l’assurance-chômage en un compte-temps universel où chacun cotise pour s’offrir du temps libre. L’individu reprend contrôle sur la gestion de son existence, dans une relation directe avec un Etat émancipateur. La même logique devrait conduire à l’instauration d’un revenu universel.
Les controverses intellectuelles sont la mère de toutes les batailles politiques. Sur ce plan, Manuel Valls est à Emmanuel Macron ce que le socialisme à visage humain était à l’anticommunisme ; qu’iraientils faire dans la même primaire ?
L’obsession du vivre-ensemble n’est qu’une version idéologiquement allégée du collectivisme.