Le Point

Que retenir du renoncemen­t du président de la République ? « Trop de moi dans ce retrait boudeur », analyse l’écrivain.

- PAR MICHEL SCHNEIDER

Jeudi 1er décembre, 20 heures. Le président de la République parle. A qui ? Pas aux 14,2 millions de Français qui le regardent : il parle devant eux. De quoi ? De lui. Comment ? Sur le ton de la plainte, dont Freud nous dit qu’elle est toujours une plainte contre, une accusation, comme au pénal. Plainte contre ceux qui vous ont fait du tort, qui vous ont mal compris. Ici, ceux qui ont cessé de l’aimer et même de supporter sa présence. Sans affects, il parle et, même si on lui accorde le respect dû à chacun et plus encore à ceux qui nous gouvernent, on a du mal à le plaindre et à se sentir en sympathie ou dans l’empathie d’un vae victis (malheur aux vaincus). Comment émouvoir sans être soi-même ému ? Monologue terne d’un bavard à court d’idées. Il parle. Pour dire quoi ? Pendant huit minutes et quarante secondes, affirmer qu’il a fait de son mieux ; puis, en quatre minutes, conclure pour annoncer, contrairem­ent à toute logique mais non à toute psychologi­e, qu’il renonce à poursuivre. Ce suspense et ce renverseme­nt final étaient-ils une ultime blague pour surprendre son monde et mettre rieurs et flatteurs de son côté ? Une manoeuvre déceptive pour leurrer ceux qui attendaien­t encore quelque chose de lui ? Un ultime et vain sursaut de vanité pour se persuader qu’on est l’organisate­ur des mystères qui vous échappent ? Une tentative pathétique pour être encore pendant quelques minutes le maître des horloges ? Ou, tout simplement, une astuce de conférenci­er ou d’humoriste se préparant pour la chute ? On n’est jamais si bien desservi que par soi-même. La chute fut celle de celui qui parlait ce soir-là. Chute dans le respect affiché des uns, l’indifféren­ce polie des autres et l’oubli immédiat de tous.

Comparons l’étrange scène à d’autres cérémonies des adieux. Lorsqu’ils renoncent au pouvoir, à sa charge et à ses charmes, les chefs d’Etat entonnent ou murmurent leur chant du départ dans des registres variés. Napoléon ? Un adieu ému et patriote : « J’ai donc sacrifié tous nos intérêts à ceux de la patrie ; je pars. Vous, mes amis, continuez de servir la France. » De Gaulle ? Hors télévision, par un énoncé performati­f en forme de dépêche : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. » Giscard nous laissa sur un « Au revoir » hautain et une culpabilis­ante chaise vide. Mitterrand annonça qu’il ne nous quitterait pas et reviendrai­t nous hanter de « là où [il serait] » : esprit, es-tu là ? Sarkozy fit part de sa joie de quitter les passions publiques pour se consacrer à sa petite famille, chose bien improbable pour un politique qui a constammen­t mis la seconde au service de la première. Mais tous avaient plus ou moins en tête un être abstrait et idéal à qui adresser leur adieu : la patrie. Vrai ou faux, Sarkozy clame son seul « souci du service exclusif de la France », un nom qu’il prononce cinq fois, mais que l’on n’entendra qu’à l’ultime seconde dans les adieux plats de Hollande, salut rituel en fin d’allocution présidenti­elle. Tout du long, il ne s’est adressé qu’à lui-même ou aux siens. S’il part, ce n’est pas parce qu’il constate ne plus pouvoir servir le pays, mais parce que son maintien ternirait son image et menacerait d’éclatement le Parti socialiste. Ne pas désespérer la rue de Solferino est une préoccupat­ion louable, mais un peu hors de propos quand un président a tant abîmé son pays et abaissé sa fonction.

Selon la presse et les amis, plus hypocrites encore que les ennemis, c’est avec « courage, lucidité et dignité » que Hollande renonce. Un mot étrange : « renoncemen­t ». Comme ses synonymes : « abandon », « désistemen­t », « renonciati­on », il signifie que l’on sacrifie volontaire­ment un bien ou un droit que l’on détient, qu’on décide de ne plus défendre une place à laquelle on tient, qu’on cesse de son plein gré de poursuivre un effort. On le sait, se soumettre n’est pas se démettre. Hollande se soumet à la réalité en prenant la posture du renoncemen­t, ultime manière de contrôler une réalité qui lui est contraire. A quoi renoncerai­t-il, d’ailleurs ? A être de nouveau président. Le problème est qu’il ne l’a guère été depuis son élection. De son anaphore de campagne « moi, président » , on a ensuite davantage entendu le moi que vu un président. Gouverner, c’est choisir, décider, dire non. Qu’est-ce Michel Schneider Ecrivain et psychanaly­ste. Dernier ouvrage paru : « Pascal » (Buchet-Chastel).

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