Le Point

L’Italie fait frissonner

Après l’échec de Matteo Renzi, la situation économique et financière de la péninsule est explosive. Enquête.

- DE NOTRE CORRESPOND­ANT DOMINIQUE DUNGLAS

«L ’Italie redémarre », « La crise est finie », « Rome va montrer à l’Europe le chemin de la croissance » : durant ses 1 016 jours au pouvoir, Matteo Renzi a multiplié les annonces triomphali­stes sur la résurrecti­on de l’économie transalpin­e. Le 4 décembre au soir, alors que 6 Italiens sur 10 venaient de le pousser vers la sortie, le président du Conseil démissionn­aire a encore revendiqué son bilan économique : « Nous laissons en héritage un pays dont le PIB est passé de – 2 % à + 1 %, doté d’une loi sur le marché du travail qui a créé 600 000 emplois, avec des exportatio­ns qui croissent et un déficit qui baisse. » En Italie, on appelle ça la « narration renzienne » ; ailleurs, la méthode Coué.

La péninsule est engluée dans des sables mouvants qui la relèguent parmi les plus mauvais élèves de la zone euro. Le pays étant sorti plus tard de la crise mondiale que les autres membres de l’Union, sa croissance sera de 0,8 % en 2016 et de 1 % en 2017, alors que la croissance moyenne de la zone euro sera respective­ment de 1,7 % et de 1,6 %. Le déficit atteindra cette année 2,6 % du PIB, moins que les 3 % de l’année précédente, mais plus que les 2,1 % de la zone euro. La dette publique dépasse 2 220 milliards d’euros, soit 132,3 % du PIB. Seule la Grèce fait pire en Europe. Le chômage a légèrement baissé, passant de 13,1 % au début du mandat de Matteo Renzi à 11,6 %. Mais celui des jeunes de moins de 25 ans atteint 35 % à l’échelle nationale, et bien davantage dans le Sud. Il n’est pas étonnant que les jeunes aient, dans les urnes, tourné le dos à celui qui était devenu président du Conseil à moins de 40 ans.

Pour Alfredo Macchiati, professeur de politique économique à l’université Luiss de Rome et auteur de l’ouvrage « Pourquoi l’Italie croît peu », « davantage que la photograph­ie instantané­e des chiffres macroécono­miques de la péninsule, c’est le terrain perdu au cours des vingt dernières années qui donne la mesure de la crise ». En 2004, les Italiens gagnaient en moyenne 1 000 dollars par an de moins que les Allemands. En 2015, on gagnait à Rome 10 000 dollars de moins qu’à Berlin. Perdre des points visà-vis de la puissante Allemagne n’est pas infamant, mais la comparaiso­n devient cruelle lorsqu’elle se fait avec l’Espagne. En 2004, les Espagnols gagnaient 5 000 dollars de moins que les Italiens. En 2015, l’écart s’est réduit à 1 700 dollars.

Le PIB est encore largement inférieur à ce qu’il était en 2001, et il faudra attendre 2025 pour qu’il retrouve son niveau antérieur à la crise financière. « Le président du Conseil se félicitait d’une variation positive de 0,1 % ou 0,2 %, alors que les Italiens sentent le poids de la crise depuis vingt ans et n’en voient pas la sortie, explique l’éditoriali­ste du Corriere della Sera Antonio Polito. Ça a creusé un fossé entre l’opinion et Matteo Renzi. La lassitude s’est transformé­e en rage. »

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