Le chef de cave nouveau est arrivé
Il fut un temps pas si lointain où, dans certaines grandes maisons de champagne, le grand patron ne se serait jamais aventuré dans les sous-sols ou la cuverie sans en avoir auparavant obtenu l’autorisation du chef de cave. C’était lui le boss, la clé de voûte parce que la mémoire de la maison, l’indispensable, le détenteur du goût, celui qui savait ce que contiennent les centaines de cuves ou les milliers de fûts alignés sous terre. Le métier de chef de cave relève d’un subtil mélange entre chef de gare et aiguilleur du ciel, souvent du septième ciel si on en croit les nombreux témoignages à propos d’idylles que ce breuvage suscite. Mais le métier a changé depuis une vingtaine d’années. Le chef de cave, que l’on voyait rarement à l’extérieur de l’enceinte de la maison, est de plus en plus sollicité pour porter la bonne parole. Signe que la Champagne ne se contente plus du marketing à la papa vantant la fête et le mirliton. « Le premier à sortir fut Daniel Thibault » , se souvient Odilon de Varine, ancien chef de cave chez Deutz, et désormais directeur de Gosset. Daniel Thibault, amoureux militant de son Charles Heidsieck, n’a pas hésité à multiplier les rencontres et les dégustations, inventant au passage la notion de « mise en cave » pour signifier la durée de vieillissement en bouteille avant dégorgement. « Il s’organise un renouvellement des chefs de cave. Ceux qui maîtrisaient l’ensemble disparaissent peu à peu avec les départs à la retraite » , commente Floriane Eznack, femme chef de cave (Jacquart), ce qui était tout à fait inconcevable autrefois. « Un nouveau mode de management s’est créé. On ne veut plus des gens qui connaissent tout. Celui qui sait à la fois réparer une machine et connaît tous les marchés export n’existe plus. Le nouveau chef de cave continue de faire les assemblages, de connaître ses cuves, c’est le b.-a.-ba du métier, mais soit il est plus en amont vers le vignoble et les approvisionnements, soit vers la communication. » Une autre responsable, future chef de cave, Julie Cavil, chez Krug, confirme : « Aujourd’hui, chez nous, il y a l’équipe d’oenologie, et ensuite on va attribuer à chacun une tâche en fonction des périodes et des boulots. On est tous polyvalents. On détermine sept semaines dans l’année où on peut faire appel à nous pour des missions extérieures, comme ça c’est clair »