Quand Paris fichait Hitler
Al’issue de la Première Guerre mondiale, les services de renseignement français sont très attentifs à la révolution bolchevique. La menace vient de Moscou, et non plus de Berlin : vaincue, affaiblie, l’Allemagne n’est plus une cible prioritaire et ses mouvements nationalistes ne retiendront l’attention que trop tard.
La première fiche en français sur Hitler date pourtant de 1924, mais elle n’émane ni du 2e Bureau ni de la Sûreté générale : c’est le petit service de sûreté de la Haute Commission interalliée des territoires rhénans qui l’a produite. Conformément au traité de Versailles, la Rhénanie est alors administrée par cet organisme franco-belgo-britannique présidé par un Français, le conseiller d’Etat Paul Tirard. De 1919 à 1930, la Haute Commission fiche des centaines de personnalités allemandes. Ses archives sont aujourd’hui conservées aux Archives nationales, sous la cote « sous-série AJ/9 », qui représente plus de 6 600 cartons.
La fiche consacrée à « Adolphe » Hitler n’est pas la plus précise ; ornée d’une photo tramée manifestement découpée dans un journal, elle comporte quelques erreurs factuelles : le chef du Parti national-socialiste n’est pas né en 1880 à Passau, en Bavière, ce qui ferait de lui un citoyen allemand, mais en 1889 à Braunau am Inn, en Autriche. Et son second prénom n’est certainement pas Jacob, même si la rumeur lui prête faussement des origines juives. Enfin, il n’est qu’épisodiquement journaliste.
Quant à l’analyse politique, elle demeure très approximative : « le Mussolini allemand » commande certes à des troupes d’un « genre fasciste » , mais il ne semble pas très dangereux. D’ailleurs, sa « tentative de coup d’Etat » , en novembre 1923, « a échoué lamentablement » . Nulle mention de son antisémitisme ni de sa puissance oratoire, encore moins de son ambition démesurée : le leader nazi « n’est pas un imbécile mais est un très adroit démagogue » en qui n’est vu que « l’instrument de puissances supérieures » … Cette fiche montre surtout une regrettable propension à sous-estimer l’adversaire