La moyenne n’est plus ce qu’elle était !
La polarisation régionale de la croissance, qui alimente le vote populiste, peut être corrigée.
L es
chiffres de l’économie inspirent désormais de la méfiance. Naguère considérés comme aussi solides que le granit, irréfutables, voici les grands indicateurs frappés par l’opprobre qui ombre les informations venues du « système ». Le système, version moderne du complot, agoni de toutes parts, de Fillon à Mélenchon. Derrière tout chiffre, on redoute une intention, une volonté de tromper ou de déformer la vérité, d’autant plus que la campagne pour la présidentielle s’intensifie. Le chiffre n’est plus un morceau de réalité, mais un projet pour la travestir.
Cette défiance s’explique en partie par le relativisme généralisé. Nous sommes dans ce que les doctes esprits appellent l’ère de la « post-vérité » , où les croyances et le ressenti, voire l’émotion, comptent au moins autant que les faits : comment voulez-vous que je croie à la baisse du chômage puisque je vois bien que mon voisin n’a toujours pas retrouvé d’emploi ? Mais la contestation du chiffre s’appuie aussi, de façon paradoxale, sur une part de vérité. Les indicateurs se fondent en effet sur le concept de moyenne, qui permet d’appréhender une forme intelligible, fûtelle réduite, de la réalité. Or la moyenne n’est plus ce qu’elle était. Elle dissimule des situations de plus en plus hétérogènes.
Prenons la croissance française. De 2007 à 2013, le PIB de la France a progressé de 2 %. Mais, derrière cette moyenne nationale, apparaissent des situations radicalement différentes. L’Ilede-France a progressé de près de 9 % – plus que l’Allemagne, qui est à 7,6 % sur la période. Pendant ce temps-là, la Picardie et le Centre chutaient de 5 % environ, la Lorraine de 9 % et la Franche-Comté de 10,5 %, c’est-à-dire plus que l’Italie, qui a pourtant connu un effondrement de sa production nationale… Sur ces sept années, la province, prise dans sa globalité, est à zéro : tout le surplus de richesse créée l’a été dans la région capitale. Certes, ces évolutions sont en partie causées par les mouvements de la population, aimantée par les côtes et l’Ile-de-France – là où il y a des emplois. Aussi la mesure du PIB par habitant montre t-elle des divergences régionales un peu moins prononcées. Mais elles le sont toutefois bien davantage que dans les années qui ont précédé, et bien plus que durant les Trente Glorieuses.
Cet écartement des destins économiques au sein d’une même communauté nationale ne s’observe pas seulement en France. Sur la même période en Italie, les régions septentrionales comme le Piémont ou la Lombardie ont à peine senti la crise, alors que la Calabre et les îles, Sardaigne et Sicile, s’effondraient littéralement. Idem en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis. Partout, la croissance joue la fée maligne, qui donne beaucoup à ceux qui possèdent déjà et prend à ceux qui n’ont rien. Comment formuler une politique économique à partir de situations hétérogènes ? Comment même établir un diagnostic commun sur les problèmes du pays avec des citoyens aussi dispersés ? La reprise de l’un est la récession de l’autre.
Il y a là bien sûr une explication de la crise politique que nous traversons, avec les votes de plus en plus « clivés » qu’on
De 2007 à 2013, le PIB de l’Ile-de-France a progressé de 9 %, celui de la FrancheComté a chuté de 10,5 %.