Vaccins, la piqûre de rappel
Philippe Sansonetti, professeur au Collège de France et auteur d’un vibrant « Vaccins » (Odile Jacob), défend ce pilier de la santé publique, aujourd’hui victime de l’individualisme et du complotisme.
C’est le cri d’alarme d’un pasteurien qui ne reconnaît plus son pays. Dans « Vaccins », Philippe Sansonetti, chercheur en microbiologie et professeur au Collège de France, livre un vibrant plaidoyer pour un « miracle médico-scientifique » qui a fait reculer la mort, sauve de 2 à 3 millions de vies chaque année mais se retrouve aujourd’hui victime de son succès. Selon la plus vaste étude jamais menée dans 67 pays, 41 % des Français pensent que les vaccins ne sont pas sûrs, ce qui les couronne champions du monde du scepticisme. Aurions-nous oublié combien la vaccination – associée à l’hygiène et aux antibiotiques – a permis à l’homme de se révolter contre une nature bien cruelle ? Ou alors faut-il rendre obligatoire le vaccin contre le complotisme ? Philippe Sansonetti offre une piqûre de rappel bienvenue en narrant l’épopée de héros nommés Jenner, Pasteur ou Salk, mais fait aussi le tour des controverses actuelles et des risques infectieux à venir. En avant-première, il nous a reçus dans son modeste bureau de l’Institut Pasteur, ce temple du progrès où ont germé les vaccins contre la tuberculose, la fièvre jaune ou la poliomyélite
Le Point : Selon un sondage Ipsos, à peine plus de la moitié (52 %) des Français pensent que les vaccins présentent plus de bénéfices que de risques… Philippe Sansonetti :
Ce chiffre me fait froid dans le dos. Ces gens ne sont pas des militants antivaccins, mais pour l’essentiel des personnes, des parents qui doutent. Il faut essayer de comprendre ce phénomène. Tout d’abord, la France est devenue une nation pessimiste. Il y a aussi une perte de confiance due aux crises sanitaires que nous avons traversées, pourtant sans rapport avec la problématique des vaccins. Mais ce qui me préoccupe le plus, c’est la perte mémorielle, observable dans tous les domaines. On oublie trop vite le passé et ses leçons. L’essentiel des maladies infectieuses de l’enfant a été éliminé par la vaccination. Rançon de ce succès, le vaccin – qui est certes un acte sensible car pratiqué sur des êtres fragiles et en bonne santé – peut sembler inutile aux parents n’ayant pas connu les drames de ces maladies infectieuses. Certains présentent la vaccination comme un automatisme absurde. La réalité est tout autre : ces maladies ont disparu grâce à la vaccination universelle, mais n’ont pas pour autant été éradiquées, mis à part la variole. Si demain nous « levions le pied », nous verrions le retour de ces maladies. Quelle régression !
A quoi ressemblait le « monde d’hier » en termes de maladies infectieuses ?
Attention, c’est le monde d’hier, pas d’avant-hier. Quand mes parents sont nés, dans les années 1920, il y avait encore chaque année en France 150 000 décès dus à la tuberculose, 3 000 à la diphtérie, surtout des enfants, et la poliomyélite commençait à frapper sévèrement. Il y avait aussi les méningites et les pneumonies bactériennes de l’enfance, que maintenant on prévient largement grâce aux vaccins. A cette époque, à part les bénéfices de l’hygiène, qui s’était considérablement développée depuis le milieu du XIXe siècle, et l’usage croissant de la vaccination contre la variole, nous avions bien peu pour nous défendre contre les maladies infectieuses. Il fallut attendre la fin des années 1930 pour voir le développement des sulfamides, puis des antibiotiques. Les maladies infectieuses étaient lourdes pour la société, non seulement à cause de la mortalité, mais aussi du fait des souffrances subies et des séquelles fréquentes. Aujourd’hui, la mortalité a considérablement diminué, mais en cas d’infection il reste la souffrance des parents et des enfants, les risques de complications, le temps perdu, la mobilisation du personnel hospitalier. On ne peut plus se payer le luxe des maladies infectieuses qu’on peut éviter !
En 1930, 72 enfants sont morts à cause du BCG à Lübeck. Comment la vaccination s’est-elle remise de ce drame ?
« On ne peut plus se payer le luxe des maladies infectieuses qu’on peut éviter ! »
C’est une confusion tragique, car on avait injecté du bacille de Koch (BK) au lieu du BCG. On est au tout début de ce vaccin, il y eut un vent de panique qui