Mémoire du monde, la collection « Terre humaine », fondée en 1955 chez Plon par Jean Malaurie, connaît un nouveau souffle avec Jean-Christophe Rufin.
Un jour de 1954, rue Bonaparte, un jeune glaciologue de retour du Groenland frappe à la porte de chez Plon. Un manuscrit sous le bras, une idée de collection derrière la tête. Quand on a vécu plusieurs années à la dure avec les Inuits, quand on a compris dans sa chair et son esprit qu’il faut basculer de l’étude des pierres à celle des hommes, dans toute leur diversité, ce n’est pas un éditeur parisien qui va vous résister. A l’époque, Plon vient de publier les « Mémoires de guerre » du général de Gaulle. Ce que propose Jean Malaurie, puisqu’il s’agit de lui, c’est une mémoire du monde et de ses habitants. Une « Terre humaine » comme il y avait eu au XIXe siècle une « Comédie humaine ».
La rage d’écrire « Les derniers rois de Thulé » lui serait venue en voyant la contrée hyperboréale survolée par les bombardiers de l’US Air Force, qui y avait installé une base atomique ultrasecrète. L’Histoire, les hommes, la guerre froide, la politique, en attendant le pétrole et l’argent, rattrapaient la terre sacrée, inviolée, des Inuits. Pour le mystique missionnaire doublé de l’homme d’action qu’était Malaurie, c’en était trop. Avec l’enthousiasme militant de ces jeunes gens d’après guerre qui n’avaient pas mis un mouchoir sur les utopies nées de la Résistance, il eut tôt une intuition dont la justesse n’a cessé de se préciser. Le monde fonçait droit vers la mondialisation, l’uniformisation des cultures et des civilisations. Avant qu’il soit trop tard, il était toujours permis de visiter ces terres en danger, de partager le quotidien de ces hommes en péril, de dévoiler leurs facettes, leurs complexités, avec cette fougue, cette vie qui caractérise la collection. Et tant pis si quelques universitaires pisse-froid criaient à l’inexactitude, voire à l’imposture, Malaurie, soutenu par Fernand Braudel, répondait « déontologie du regard » et plaidait pour les sciences inexactes.
En soixante-deux ans d’existence, il y a eu bien sûr des virages. Le plus marquant fut opéré par « Le cheval d’orgueil », du Breton Pierre-Jakez Helias. Ce récit