La vie, simplement la vie
C ’est
un petit livre précieux. Une élégante et passionnante alchimie entre trois auteurs, deux époques et deux médiums. Les époques ? Le XIXe et le XXIe siècles. Les médiums : le mot et le dessin. Les auteurs : Claude Bernard (1813-1878), fondateur de la médecine expérimentale et de la physiologie moderne ; Alain Prochiantz, professeur au Collège de France, où il occupe la chaire de Processus morphogénétiques et dont il est l’administrateur depuis 2015 ; et enfin l’artiste Fabrice Hyber, Lion d’or 1997 à la Biennale de Venise. Pour que ce noble attelage, transdisciplinaire et transtemporel, soit constitué par les éditions VillaRrose, dont la directrice, Karen de Loisy, s’intéresse à des questions aussi essentielles que le sens du beau chez les bêtes ou l’histoire de la rosée, il fallait une occasion très particulière. Et elle l’est, en effet, puisqu’il s’agit, cette fois, de définir ce qu’est la vie. Dans le premier t e xt e , c e l ui de Cl a ude Bernard, originellement publié en 1875, on part pour un voyage à travers le « tourbillon vital ». Il est question de Paracelse et de combustion organique, mais surtout de recenser toutes les tentatives qui ont été faites pour mettre des mots sur le vivant, de Démocrite à Stahl, de Bichat à Pelletan, pour lequel, belle définition, « la vie est la résistance opposée par la matière aux causes qui tendent sans cesse à la détruire ». La mort, dès lors, « ne serait que le retour de la matière vivante sous l’empire de ces lois », dixit Cuvier, décrivant « les formes arrondies et voluptueuses » d’une femme, « les yeux brillants de l’étincelle de l’amour ou du feu du génie », progressivement rattrapée par la Camarde : « Les muscles s’affaissent et laissent paraître les saillies anguleuses des os ; les yeux deviennent ternes, les joues et les lèvres livides. » Une force supérieure protégeait les molécules de l’action de l’air, de l’humidité, de la chaleur : pourquoi a-t-elle cessé d’agir ? C’est là qu’intervient Prochiantz, rappelant tout ce qu’il doit aux travaux de Claude Bernard et débordant sur les débats actuels autour des OGM. « Touche pas à mon génome », raille le grand neurobiologiste, dont le texte, comme celui de Bernard, est scandé par les aquarelles étranges et organiques de Fabrice Hyber, chez qui la naissance du monde s’apparente à une partie de billes, et où ce qu’il appelle l’ « entier » est l’esquisse d’une femme enceinte. La vie. Simplement la vie
« Définition de la vie », de Claude Bernard, suivi de « Claude Bernard ou l’Incarnation de la physiologie », d’Alain Prochiantz, dessins et aquarelles de Fabrice Hyber (Editions VillaRrose, 110 p, 12 €).