VIVEZ LE PROCÈS DE L’AUTRICHIENNE
Histoire. Qu’a pu éprouver Claude-Louis Châtelet, 40 ans, lorsque, le 14 octobre 1793 au matin, depuis le banc des jurés, il a vu entrer Marie-Antoinette, 38 ans, dans la grand-chambre du palais de justice de Paris, transformée en tribunal criminel extraordinaire ? Dix ans plus tôt, il était l’un des peintres favoris de la reine, pour laquelle il représenta avec talent les charmes et les fêtes du Trianon. Pourquoi, depuis lors, tant de haine ? Cette question, qui vaut pour les quinze jurés, les quatre juges, le président du tribunal Herman et l’accusateur public Fouquier-Tinville, les deux avocats commis d’office et les quarante et un témoins, est au coeur du démontage qu’opère avec perspicacité Emmanuel de Waresquiel des trois jours du procès de la désormais veuve Capet. Tragédie classique, avec la triple unité de temps, de lieu et d’action, une issue réglée d’avance, et néanmoins une intensité dramatique contenue dans les paroles prononcées, en particulier par l’accusée, seule au monde, déjà condamnée et se défendant pied à pied, tout comme elle ira à l’échafaud sans trembler. Ce qui frappe dans le sort qui accable la reine, ce ne sont pas les accusations formulées dix mois plus tôt contre son mari, puis contre tous les adversaires politiques du moment : dilapidation des deniers publics, conspiration contre le peuple, intelligence avec l’étranger… Mais la volonté acharnée d’expulser cette femme du genre humain, de la réduire à l’état animal – d’où le bestiaire qui la travestit en guenon, grue, louve, truie, tigresse altérée de sang, et même de la mettre au ban de la nature, par l’accusation d’inceste avec son fils manigancée par l’extrémiste Jacques Hébert, rédacteur de l’ordurier Père Duchesne. Vengeance des médiocres brutalement promus par les événements, fascination pour le sang versé, misogynie, autant d’invariants du terrorisme
« Juger la reine. 14, 15, 16 octobre 1793 », d’Emmanuel de Waresquiel (Tallandier, 368 p., 22,50 €).