Le joyau des parcs américains, moins fréquenté à cette époque de l’année, déroule des panoramas spectaculaires.
L’aube froide se lève dans un coin. Il y a des arbres comme on n’en voit qu’en songe. Des fûts ancestraux, immenses, au tour de taille impressionnant. Les idéalistes ont si bien fantasmé la wilderness (nature sauvage) que chacun a voulu sa part de rêve. Yosemite, c’est superbe, mais c’est crowdy (surpeuplé), comme disent les Américains. Sauf en hiver. A cette époque, le calme a reconquis la nature. On peut faire du ski de fond, du ski alpin, de la raquette. Certains sentiers révèlent leur charme, à l’image du Mirror Lake Trail, dont les eaux réfléchissent les falaises. La voie qui mène à Glacier Point, éminence donnant sur le parc et la Sierra Nevada, n’est pas tracée, mais nous attend. Un groupe de touristes vigoureux surgit d’un bosquet en sens inverse, le sourire jusqu’aux oreilles. Qu’ont-ils vu ? « Regardez autour de vous : le soleil, la neige, les cascades, les forêts », s’émerveille un Espagnol qui vient de passer la nuit dans un igloo.
Sans la littérature qui l’accompagne, Yosemite ne serait qu’un parc parmi d’autres. Un regard de ranger (garde d’espace protégé) change tout. Chaque détail de la montagne – une plante, un rocher, une trace – le met dans un état de ravissement. Son visage s’éclaire. « Vous voyez cette rangée d’arbres, ils ont poussé grâce aux rongeurs », explique Michael Ross, guide naturaliste, auteur multirécompensé d’une quarantaine de livres sur la nature. Yosemite a vu défiler les puissants. Cancans et potins fleurissent. « On a fait des batailles de boules de neige avec la reine d’Angleterre. Un ranger lui a dit : “Votre Majesté, permettez-moi, mais vous regardez la carte à l’envers” », se souvient-il.
Au sommet de Glacier Point, tout y est : Half Dome, l’image iconique du parc, celle que l’on retrouve sur presque tous les écrans d’accueil des ordinateurs Apple ; El Capitan, big wall contre lequel dorment traditionnellement les grimpeurs et au sommet duquel des hommes volants en combinaison ailée réalisent le rêve d’Icare ; ou encore Cathedral Peak, pic granitique déchiqueté qui culmine à 3 222 mètres. Etendu sur la neige, au milieu d’une nature riche de symboles, on se félicite d’être là. Deux gars cool sont allongés sur un transat de jardin. L’un d’eux, portrait craché de John Muir, engage la conversation. La France vient alors d’être frappée par les attentats. « Vous venez de France. Bienvenue en Amérique, on a les mêmes problèmes que vous. »