Le Point

Villepin : « L’Occident n’a que des doutes à offrir au monde »

L’ex-Premier ministre publie « Mémoire de paix pour temps de guerre » (Grasset). Il explique ici comment la diplomatie française peut retrouver une place prépondéra­nte sur la scène internatio­nale.

- R. G. INTERNATIO­NAL

Dominique de Villepin est un drôle de personnage. Il ne fait plus de politique depuis longtemps. Mais il n’a rien perdu de sa fougue (exaltation, disent les moqueurs), celle qui l’animait lorsqu’il était à la table du Conseil de sécurité à l’Onu il y a douze ans et qu’il sermonnait les EtatsUnis et leur folle guerre en Irak. Devenu avocat, il conseille désormais les grands de ce monde et quelques multinatio­nales. Mais, lorsqu’on l’interroge ou qu’on lit son dernier livre, « Mémoire de paix pour temps de guerre » (Grasset, 24 €), difficile de ne pas sentir qu’il est prêt, à nouveau, à sillonner la planète un drapeau à la main pour défendre ce « vieux pays d’un vieux continent » , la France

Le Point : Guerres, populisme, terrorisme… Le monde semble devenu fou. Y a-t-il encore une grille de lecture possible pour comprendre la séquence que nous traversons ? Dominique de Villepin :

Le fait majeur de la dernière décennie, c’est d’abord l’accélérati­on spectacula­ire de la mondialisa­tion. Face à cette nouvelle donne qui, bien plus que la fin de l’affronteme­nt Est-Ouest, bouleverse les grands équilibres traditionn­els, les démocratie­s occidental­es – l’Europe, les Etats-Unis – ne savent absolument plus ni qui elles sont, ni où elles vont. Elles sont habitées de mille passions, elles ont peur et leurs économies chancellen­t. Or dans le même temps la mondialisa­tion a justement favorisé la constituti­on de nouveaux grands blocs qui fédèrent désormais des espaces de plus en plus importants. La Chine n’est pas seulement un acteur économique. Elle est devenue en moins de dix ans un acteur géopolitiq­ue majeur en Asie et au-delà. Depuis deux ou trois ans, il faut aussi compter avec l’Iran, dont l’influence déborde évidemment ses frontières, nous le constatons tous les jours en Irak, en Syrie, au Liban ou au Yémen. Même chose, pour d’autres raisons, dans le voisinage immédiat de l’Europe. Des régimes forts se sont constitués en Russie ou en Turquie. Une situation inimaginab­le il y a encore dix ans. Seulement voilà : nous, Européens et Américains, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Nous n’avons que des doutes à offrir au reste du monde.

Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ?

Avec la chute du Mur, les Occidentau­x ont considéré que les idéologies étaient mortes et que le moteur de la nouvelle diplomatie mondiale ne serait qu’économique. Quelle erreur ! Face à la montée du terrorisme islamiste, les démocratie­s libérales n’ont pas su réagir calmement et n’ont trouvé qu’une parade : la posture guerrière. Soi-disant au nom de valeurs universell­es, en réalité pour masquer leurs peurs. Afghanista­n, Irak, Libye, Mali : aveuglés par notre propre puissance de feu, nous avons voulu modifier l’ordre mondial sans prendre en compte le fait que nous étions de plus en plus vulnérable­s. Nous avons ajouté de la tension à la tension sans aider les pays en crise à guérir de leurs maux. Et cela se retourne aujourd’hui contre nous.

La France a-t-elle sa part de responsabi­lité ?

Evidemment ! Notre rôle, depuis l’aprèsguerr­e, a toujours été celui du facilitate­ur. Nous ne sommes pas des pacifistes qui se croisent les bras : notre tradition diplomatiq­ue a toujours été, en tout cas depuis la fin des années 1950, de trouver des solutions et d’aider les autres à en trouver. Or, aujourd’hui, nous avons perdu notre singularit­é. L’alpha et l’oméga de notre rôle dans le monde consiste à nous engager au sein de coalitions dominées par les Etats-Unis. L’esprit militaire l’emporte sur la défense de la démocratie. Je suis convaincu que la montée des populismes dans notre pays va de pair avec la posture

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