L’énigme des enchaînés d’Athènes
Ces 80 squelettes racontent-ils un coup d’Etat manqué au VIe siècle avant J.-C. ? L’archéologue parle.
C’était il y a quelques mois. Dans la première semaine de mars. Une équipe d’archéologues fouille le sol d’Athènes, là où s’élève désormais le Centre culturel-Fondation Stavros-Niarchos, dessiné par Renzo Piano. Le chantier a occasionné des fouilles de sauvetage et, dès 2012, au tout début des travaux, a été mise au jour, sous une mystérieuse couche fine de pierre blanche, la nécropole de Phalère, le grand cimetière populaire des Athéniens entre la fin du VIIIe et la fin du IVe siècle avant notre ère. Mais, en ce jour de mars, les archéologues retiennent leur souffle. Sous leurs yeux ébahis viennent en effet de surgir trois tombes collectives au contenu tout aussi spectaculaire qu’inattendu. Quatrevingts squelettes d’hommes alignés, les poignets attachés par des fers. Un premier examen est mené, qui livre des informations étonnantes : leur dentition est parfaite et l’empreinte des muscles sur l’ossature indique qu’ils fréquentaient les gymnases et faisaient la guerre, privilège des hommes riches. Deux d’entre eux portent une bague, tandis qu’un autre a un couteau caché dans sa botte. Qui sont donc ces hommes, trop nombreux et au profil trop aristocratique pour qu’il s’agisse d’une simple affaire pénale ? Pendant des mois, la directrice des fouilles, Stella Chryssoulaki, a étudié les corps des mystérieux enchaînés d’Athènes. Elle a aussi analysé les petits vases retrouvés près des corps et qui permettent de dater avec précision la mort des ces 80 énigmatiques prisonniers : entre – 625 et – 600.
Rencontrée à Athènes, l’archéologue est aujourd’hui en mesure de nous livrer ses premières conclusions. « Nous sommes probablement en présence d’hommes qui ont combattu pour une cause commune et qui ont perdu. On sait qu’il s’agit d’un épisode civil par l’attention et le respect avec lesquels ces cadavres ont étés inhumés par leurs bourreaux mêmes, ainsi que par les libations offertes pour que leurs âmes arrivent dans l’autre monde… » Mais c’est la date qui ajoute au mystère. En effet, c’est à cette période que, selon deux des grands historiens antiques, Hérodote et Thucydide – l’auteur préféré de Jacqueline de Romilly –, eut lieu l’une des grandes affaires politiques de la vie athénienne : l’affaire Cylon. « Selon les textes, rappelle Stella Chryssoulaki, Cylon était un jeune aristocrate athénien qui a voulu prendre le pouvoir. Il était très beau – et on sait bien que la beauté était très importante pour les Athéniens –, il était champion olympique et venait d’une bonne famille. Il avait tout pour que les gens le suivent. » Mais la tentative de coup d’Etat du prétendant à la tyrannie échoue, et ses disciples sont contraints de se réfugier dans le temple d’Athéna, sur le Parthénon, où ils invoquent la protection de la déesse. Contre leur reddition, leurs rivaux leur promettent la vie sauve. Mais, une fois qu’ils les ont attirés dehors, ils les enchaînent et les tuent, commettant ainsi, par ce parjure, un acte sacrilège. « Ce n’est pas la seule crise politique qui s’est produite à cette époque dans la Grèce archaïque, souligne pourtant Stella Chryssoulaki. C’est pourquoi on ne peut pas dire avec certitude que ces ossements