L’homme qui peut faire éclater le FN
El l e a os é . Ma ri o n Ma r é - chal-Le Pen a osé s’attaquer au « grand mamamouchi » du FN, Florian Philippot, le précieux bras droit de Marine Le Pen, dont beaucoup croient qu’il fait la pluie et le beau temps au parti, alors que l’impertinente l’a quasi accusé de ne faire que la météo sur BFMTV. Elle a osé briser le bel ordonnancement unitaire mariniste en pleine campagne présidentielle. Elle a osé parce qu’elle se sait soutenue, tandis que la puissance apparente du numéro deux du parti est minée par des contestations. Des mises en cause qui viennent de la base, mais aussi du sommet. Le règne de Philippot suscite beaucoup de jalousie et de mécontent e ment . Au po i n t qu’ i l so i t menacé ?
Pour l’instant, cet homme venu des terres de l’Est, député européen depuis 2014, est conforté par les chiffres. Depuis qu’il conseille Marine Le Pen, le parti a gagné des villes, fait un bon score aux élections européennes (25 % des suffrages), réuni plus de 40 % des voix dans certaines régions lors des régionales. Grâce à sa stratégie de dédiabolisation, le FN est devenu le premier parti de France, et sa cheffe est annoncée en tête du premier tour de la présidentielle. Son efficacité fait l’unanimité, même chez ceux qui ne partagent pas ses idées sociales et souverainistes. « Il a une intelligence redoutable » , il est « irremplaçable » , « il aide Marine Le Pen à formaliser ses pensées » , c’est « son Malraux » , décrivent-ils. Son adversaire déclaré, Robert Ménard, élu maire de Béziers avec le soutien du FN, confirme : « Je suis un Méridional, il est plus colin froid. Mais je ne peux pas être sympa avec des mecs qui insultent l’arbitre dans des matchs de rugby. Difficile de contester quelqu’un qui te fait gagner… »
Fort de ces succès, Philippot bénéficie d’un soutien sans faille de la part de Marine Le Pen. « Elle adore les gens qui bossent. Il y a tellement de branquignols qui vivent sur la bête dans le parti » , décrit Sébastien Chenu, proche de la présidente. Il faut dire que l’énarque a du temps à lui consacrer. Solitaire, il va rarement au cinéma, ne sort presque jamais. « Il n’a quasi pas de vie sociale et pas de centres d’intérêt en dehors de la politique. Il a passé son 31 décembre [2015] avec ses collaborateurs » , persifle un frontiste jaloux. Infatigable, il fournit des fiches à sa patronne sur tous les sujets. Fus i o nnel s , le s numéros un e t deux du FN « se comprennent au quart de seconde » , décrit son ancien chef de cabinet Philippe Martel. « Florian la rassure, car c’est une femme très inquiète. Elle n’est pas apaisée, elle a toujours du mal à trancher » , ajoute Martel. Tous les matins, il l’appelle à 7 h 30 pour lui donner le ton de la journée. Il lui prodigue ses conseils avant chaque émission de télévision et porte lui-même quotidiennement l a vo i x d u F N s ur le s plateaux de télévision.
Zemmour et Villiers lui reprochent d’avoir trahi la cause de l’identité française, qu’ils considèrent prioritaire par rapport à celle de la souveraineté.
S’il a su se rendre indispensable, nombreux sont les cadres et sympathisants du FN à rêver de sa chute. Et à prendre le parti de la députée du Vaucluse contre lui. Ouvertement parfois, comme cette dizaine de cadres fédéraux qui ont osé afficher leur solidarité avec « Marion » sur les réseaux sociaux, pour prouver que « la personne isolée » n’était pas celle que l’on croit. D’autres, beaucoup plus nombreux, restent pour l’instant silencieux pour ne pas nuire à leur parti avant la présidentielle. Mais, si tous les couteaux ne sont pas tirés, les lames s’aiguisent. « Pour l’instant, je ne rencontre plus de journalistes. Je ne veux pas jeter de l’huile sur le feu. Mais gardez bien mon numéro. On prend rendez-vous en mai. On verra qui est majoritaire ! » prévient un élu du Sud. Proche de Philippot, écoeuré par l’homophobie ambiante, l’étudiant Guillaume Laroze, ancien membre du collectif enseignant Racine, a quitté le FN : « J’ai eu un malaise quand j’ai compris que je m’étais fait avoir, que la ligne de Marion était majoritaire. Nous qui étions séduits par le discours de Philippot, on servait juste à polir l’image, pour continuer à accueillir le plus de gens de gauche possible. On était juste un outil de communication. » Il décrit également l’hostilité à l’égard de son ancien mentor : « Il se fait constamment insulter et je pense qu’il y a certaines permanences dans le sud de la France où il ne serait pas le bienvenu. Lui et certains de ses proches font le dos rond. Moi, je n’en pouvais plus. »
Mais les critiques les plus efficaces se matérialisent sous la plume acerbe d’écrivains à succès. Véritables stars chez les frontistes, Eric Zemmour et Philippe de Villiers lui reprochent d’avoir trahi la cause de l’identité française, qu’ils considèrent prioritaire par rapport à celle de la souveraineté. « Une République islamique française pourrait être souveraine, mais ce ne serait plus la France » , explique le premier dans son dernier livre, « Un quinquennat pour rien » (Albin Michel). « Un pays peut perdre sa richesse, il n’en meurt pas. Il peut perdre ses libertés, être accablé d’impôts, détruire ses paysages, abandonner sa souveraineté même, il n’en meurt pas. De tout cela il peut se relever. Mais s’il perd son identité, qu’il ne sait plus ce qu’il est, d’où il vient, où est sa vraie richesse, alors il meurt » , écrit le second dès les premières lignes de son dernier pamphlet contre l’islamisation de la France, « Les cloches sonneront-elles encore demain ? » (Albin Michel). Or, pour eux, comme pour Patrick Buisson, Philippot est le mauvais génie qui a pris le contrôle du cerveau de Marine Le Pen. Soutenue par le trio, Marion Maréchal-Le Pen ne dit pas autre chose lorsqu’elle déclare que, dans quelques années, le père de famille ne se préoccupera pas de « savoir si sa fille a acheté sa burqa en francs ou en euros » . De son côté, Philippot, en chevènementiste autoproclamé, considère que la préservation de l’identité française passe d’abord par la sortie de la monnaie unique et de l’Union européenne. Sûrement pas par une croisade contre l’islam.
Attablé dans l’arrière-salle d’un café germanopratin, fief symbolique des ces « élites » honnies par les électeurs frontistes, Florian Philippot répond à ces attaques, le regard fuyant. Sur le fond, il minimise ses divergences d’opinion avec ceux qu’il appelle « les droitards » dans leur dos. Pourtant, pas grandchose ne les rapproche. Lui pense que le clivage entre souverainistes et mondialistes a remplacé le « clivage droite/gauche » . Eux rêvent de faire l’union des droites contre les gauches. Ils expliquent que les réserves de voix les plus importantes sont à droite et qu’il faut aller les chercher en droitisant le discours et en s’ouvrant à une alliance avec certains Républicains. « J’ai dit à Marine Le Pen qu’il fallait accepter des systèmes d’alliance, alors que Philippot pense que le FN peut devenir majoritaire tout seul en absorbant des gens partout » , résume Robert Ménard. De Jean-Marie Le Pen à Eric Zemmour en passant par Marion Maréchal-Le Pen, ce front contestataire critique encore plus la dédiabolisation et la stratégie gauchisante depuis que Donald Trump a été élu aux Etats-Unis en menant une campagne stigmatisant les musulmans. Marion Maréchal-Le Pen estime également que la victoire de François Fillon à la primaire de la droite et du centre, obtenue grâce « au soutien de Sens commun [et] à la question de l’identité » , lui donne raison.
Chantage. Malgré les contestations, le conseiller redouté et haï ne doute pas de sa stratégie : « L’enfermement dans un dialogue droite/ droite et dans les questions sociétales ne peut pas marcher. Avec cette ligne-là, le FN sera à 5 % dans six mois. Et de toute façon ce sera sans moi » , prévient-il. Car, pour s’assurer de la pureté de la ligne, il n’hésite pas à faire du chantage à sa patronne. « Marine a peur de Florian, quelque part… S’il partait, ce serait un sacré coup. Or il a un côté Séguin, il a toujours sa lettre de démission à la main » , explique en privé Philippe Martel. Une technique pour l’instant efficace, puisque la présidente du FN n’ose pas toujours le remettre à sa
« Florian rassure Marine, car c’est une femme très inquiète », Philippe Martel, ancien chef de cabinet
place. « Marine lui passe des trucs qu’elle ne passerait pas à d’autres [sous-entendu « à sa nièce », NDLR]. Un jour, je vois apparaître sur Twitter un compte @générationPhilippot. J’en parle à Marine en lui disant : “C’est un truc présidentiel.” Elle me répond : “C’est pas admissible !” “Bon ben, tu lui dis ?” » raconte un cadre frontiste.
Si sa tante cède chaque fois, Marion Maréchal, elle, ne compte pas lui laisser le champ libre. Elle aussi rêve de débarrasser le FN de cette influence « gauchiste » et laïcarde. Même lorsqu’ils faisaient mine d’être alliés, le conseiller favori et la nièce de Marine Le Pen « ne se sont jamais supportés. Le moindre prétexte leur est bon pour s’engueuler » , explique un pilier de la campagne. Trump, loi El Khomri, mariage homosexuel, IVG, elle a fait valoir sa différence sur de nombreux sujets d’actualité. Mais elle fait tout de même attention à ne pas franchir la ligne blanche dans l’intérêt supérieur de son parti. « Comme dit mon grand-père : quand on est dans la Résistance, on ne regarde pas si son voisin pue des pieds » , glissait-elle au Point il y a quelques semaines pour résumer leurs relations. Alors, Marion Maréchal-Le Pen attend son heure. Absente de la rentrée de Marine Le Pen à Fréjus ainsi qu’à l’inauguration de son QG de campagne, elle prend ses distances sans s’éloigner complètement. Contrairement à lui, elle a une existence politique en dehors de Marine Le Pen. Et elle a l’avantage, aux yeux des militants, d’être une Le Pen, ce qu’il ne sera jamais. Entre eux deux, ces derniers ont tranché : en 2015, elle est arrivée en tête du dernier comité central, sorte de concours de popularité du parti, loin devant son meilleur ennemi, quatrième malgré son statut de numéro deux. Pour sauver les apparences, Philippot a tenté d’en faire renouveler le mode de désignation lors du « congrès postal » , l’acte par lequel Marine Le Pen a supprimé la présidence d’honneur du parti, prononçant l’exclusion de Jean-Marie Le Pen. Pour l’instant, ces nouveaux statuts sont juridiquement contestés par le Menhir.
En attendant, le feuilleton médiatique du parricide se poursuit. Puisque Marine est une Le Pen, c’est Philippot qui est jugé coupable du crime. Par les militants, mais pas seulement. Par Jean-Marie Le Pen lui-même, qui espère toujours se réconcilier avec sa fille. C’est aussi l’avis de la plupart des cadres, que Philippot a contraints à voter l’exclusion du père fondateur. Circonstance aggravante, l’homme de l’Est se comporte avec eux comme il le faisait avec ses camarades d’HEC ou de l’Ena : il les mésestime. Il ne prend même pas la peine de dire bonjour aux secrétaires et au personnel de sécurité lorsqu’il arrive au siège du parti. « Il faudrait qu’il joue davantage collectif. On ne sait pas ce qu’il pense. Il ne le dit jamais en bureau politique du FN. Il le souffle probablement à l’oreille de Marine » , se plaint un membre de l’instance frontiste. Un autre livre une version moins aseptisée : « Il est chiant et rancunier, même avec ceux qui sont d’accord avec lui. Il s’engueule avec tout le monde. Bernard Monot [conseiller économique de Marine Le Pen, NDLR] est devenu sa bête noire. Il a attendu qu’il rédige ses propositions économiques pour les jeter à la poubelle. » « A Fréjus, il est arrivé en dernier lors du discours de Marine Le Pen », s’indigne un autre cadre.
Ecartés. Pour autant, il n’a pas besoin d’être sympathique pour rester influent. Il préfère éviter que la patronne du FN s’appuie sur d’autres canaux d’influence que lui. « Il voit bien que la campagne va mettre en avant d’autres têtes. En étant vice-président de la communication, il a empêché ça. Il voulait se débarrasser de Frédéric Chatillon [ancien du GUD, ami d’enfance de Marine Le Pen et notamment mis en examen dans le cadre de l’affaire Jeanne, NDLR] et de Philippe Olivier [mari de Marie-Caroline Le Pen, la soeur de Marine Le Pen, de retour à son côté après que le couple a suivi Bruno Mégret lors de la scission, NDLR] » , explique un
proche de Marine Le Pen. Il n’a jamais voulu recevoir Jean Messiha, qui dirige le collectif de hauts fonctionnaires Les Horaces. Et a envoyé sur les roses Aurélien Legrand, ancien du NPA devenu numéro deux du Rassemblement bleu Marine, qui tentait de se rapprocher de lui.
« Saigneur ». Dans les fédérations, ceux qui arpentent le terrain depuis des années pour prêcher la parole frontiste le maudissent. Ils sont progressivement écartés par Florian Philippot et Jean-Lin Lacapelle (homme de confiance de Marine Le Pen), au profit de « jeunes imberbes sortis de Sciences po sans aucune expérience militante » , dixit Jean-Marie Le Pen. Elu depuis des années dans le Grand Est, José Sanjuan raconte avoir été écarté après son échec au grand oral de délepénisation concocté par « ce grand saigneur » de Philippot :
« Depuis combien de temps êtesvous au FN ? l’interroge Philippot.
– J’y étais bien avant que vous ne soyez né.
– Que pensez-vous de M.Jean-Marie Le Pen ?
– Ça fait vingt ans que je suis au FN. Je suis obligé de supporter ses dérapages. D’ailleurs, quand vous êtes arrivé, il avait déjà dit certaines choses. J’assume, sans valider.
– Que pensez-vous de la sanction que nous lui avons infligée ?
– Il reste mon président d’honneur. »
La messe était dite. Sanjuan a été envoyé dans les choux, qui poussent en grand nombre sur le territoire. Comme d’autres victimes du « grand remplacement du FN », Sanjuan est entré dans les comités Jeanne. Créées par le patriarche, ces formations présenteront des candidats dissidents aux prochaines législatives.
Même bunkérisé, Philippot s’est constitué une garde rapprochée : l’eurodéputée Sophie Montel, dont il ne se sépare jamais, son assistante parlementaire, Mathilde Androuët, le responsable du FNJ, Gaëtan Dussausaye, son directeur de cabinet, Joffrey Bollée, qui envoie chaque jours des éléments de langage aux cadres frontistes. En tout, une dizaine de personnes qui sévissent sur Twitter à la moindre sortie de route qui déplairait à leur Florian adoré. « Il n’attaque jamais frontalement. Il le fait toujours de manière indirecte. C’est un trait de caractère » , résume un poids lourd du FN. « Philippot est une anguille, il est insaisissable. C’est la stratégie de l’évitement permanent avec lui » , précise un autre. Exemple : début février 2015, après les régionales, les cadres du FN s’enferment à huis clos à Etiolles pour discuter de la stratégie. Robert Ménard est le seul à oser réclamer un coup de barre à droite. « Marine Le Pen a sorti les éléments de langage de Philippot pendant qu’il regardait ses pieds. Il n’a pas pris la parole, alors que c’était sa stratégie qui était contestée » , raconte un cadre frontiste présent sur les lieux. Un comportement qui tranche avec la tradition d’affrontement presque physique instaurée par Jean-Marie Le Pen depuis la création du FN. Résultat : la souffrance est perceptible au Carré de Nanterre, le siège du parti. Certains employés ont demandé une entrevue à Philippot, il y a plusieurs mois, pour tenter d’arrondir les angles. Ils attendent toujours une réponse.
Pourtant, depuis quelque temps, le front anti-Philippot a de nouveau des raisons d’espérer. Le numéro deux n’a pas obtenu la tête de Bruno Gollnisch, menacé pour sa fidélité à Jean-Marie Le Pen. Mais, surtout, Philippot n’a pas écrit le discours des Estivales de Marine Le Pen, qui place l’identité sur un pied d’égalité avec la souveraineté. C’est le collectif de hauts fonctionnaires Les Horaces qui l’a en partie rédigé. Sa tête pourrait-elle tomber si Marine Le Pen n’accédait pas au second tour de la présidentielle ou si son score n’était pas à la hauteur des attentes frontistes ? Marqués par « la félonie » mégrétiste, certains, au Front, évoquent la possibilité d’une scission de l’aile droite au prochain congrès. En attendant, la situation est cocasse : l’homme le plus détesté de l’extrême droite n’est ni de gauche ni même de droite. Il est numéro deux du Front national
« Il est chiant et rancunier, même avec ceux qui sont d’accord avec lui. Il s’engueule avec tout le monde. » Un cadre