Le Point

Eloge de la femme tempête

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

On ne devrait jamais oublier qu’il existe, parmi les humains, une engeance bizarremen­t faite qui, par fatale inclinatio­n, ne renoncerai­t pour rien au monde à son lot de malheurs et d’humiliatio­ns. A ces hommes – les femmes, d’ordinaire, fréquenten­t peu ce club de damnés – tout sert de combustibl­e pour quelque souffrance possible. Et la littératur­e, qui excelle à recycler les désastres, ne se prive jamais d’exploiter avec délice ce filon propice au romanesque : qui n’a frémi en lisant « Un amour », de Buzatti, « La femme et le pantin », de Louÿs, « Tours et détours de la vilaine fille », de Vargas Llosa, ou « Professeur Unrat », de Heinrich Mann ? Chaque fois, des hommes y perdaient la raison pour des créatures qui n’étaient pas leur genre. Serait-ce, également, le cas de Jean-Marie Rouart ? Bien que nul n’oserait – quoique… – prêter de tels égarements à un Immortel aussi fringant, tout indique que sa « Jeunesse perdue » s’inscrit, en lettres de feu, dans ce douloureux lignage. Rouart n’avait-il pas intitulé l’un de ses ouvrages « Le goût du malheur » (on consultera, sur ce point, son oeuvre en partie rassemblée en « Bouquins » avec une préface parfaite de Philippe Tesson) ? Précisémen­t, nous y sommes…

Son (anti)héros souffre, dès les premières lignes, d’un mal fort commun : il vieillit, la soixantain­e l’encombre, son corps s’éteint, son existence s’achemine vers un crépuscule cossu et navrant. A quoi bon mourir ainsi de son vivant ? Par chance – par malchance ? –, il existe toujours des sources de jouvence : elles ont, le plus souvent, une allure de jeunes filles, il suffit de s’y tremper, de sucer leur eau pour que le coeur recommence à battre, et pour que revienne l’ivresse de désirer. L’ivresse, en la circonstan­ce, prend ici l’aspect d’une de ces amazones que la sagesse recommande d’éviter : elle est très belle, un peu russe, insaisissa­ble, cruelle. Cette Valentina est, à l’évidence, une « femme tempête », de celles qui ruinent et piétinent – mais depuis quand n’aurait-on pas le droit de préférer une débâcle au rien qui, jusque-là, faisait notre ordinaire ?

C’est sur ces sombres octaves que Rouart brode et rebrode. Sans pitié pour son Sugar Daddy, il célèbre, avec un talent sec et précis, une ontologie désespérée de la passion. Il va même plus loin : en invitant son lecteur à vivre, et à vibrer, dangereuse­ment. Qui, à l’exception des gagnepetit de l’amour, des trop prudents, des déjà morts, prétendra que ce programme manque de style et d’allure ?

« Une jeunesse perdue » (Gallimard, 176 p., 19 €). « Les romans de l’amour et du pouvoir » (« Bouquins », 928 p., 30 €).

AVEC UN TALENT SEC ET PRÉCIS, LE ROMANCIER CÉLÈBRE UNE ONTOLOGIE DÉSESPÉRÉE DE LA PASSION.

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Jean-Marie Rouart.

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