Le Point

Didier Raoult, un scientifiq­ue face aux marchands de peur

Edition. Le recueil des tribunes du Pr Raoult écrites pour Le Point sort en librairie. Retour sur un parcours atypique.

- PAR OLIVIA RECASENS

Pour cogner les idées reçues, basculer les dogmes, tordre le cou aux marchands de peur, il faut avoir le cuir épais et un pedigree irréprocha­ble. Le Pr Didier Raoult est parfaiteme­nt taillé pour l’aventure. A la tête du plus grand centre de recherche hospitalo-universita­ire français consacré aux maladies infectieus­es, il est aussi le microbiolo­giste le plus cité au monde et figure dans le Top 100 des scientifiq­ues les plus influents.

A 64 ans, Didier Raoult a identifié 400 microbes, soit 20% des microbes connus chez l’homme. Dont quelques stars, comme Spoutnik, le premier virus virophage, c’est-à-dire capable d’infecter ses congénères, ce que l’on pensait impossible. « Il était établi une bonne fois que chaque organisme vivant est parasité par des virus qui lui sont propres », explique le microbiolo­giste. En analysant le génome de ce glouton, son équipe a montré que Spoutnik échangeait des gènes avec le virus infecté, et qu’il avait même piqué des gènes à d’autres virus. « Une théorie doit toujours pouvoir être questionné­e, remise en cause, voire dépassée, sinon c’est de la croyance ! » commente Raoult. On lui doit aussi la découverte de Mimivirus, qui, comme son nom ne l’indique pas, est le plus grand virus connu à ce jour. « Je l’ai baptisé ainsi en clin d’oeil aux aventures de Mimi l’amibe. Le soir, afin de nous expliquer l’évolution, mon père médecin nous racontait, à moi et mes cinq frères et soeurs, comment Mimi l’amibe et ses copains avaient fabriqué les plantes, les animaux. »

Cancre et rebelle, le Pr Raoult n’avait « aucune vocation pour la médecine », mais « c’étaient les seules études que mon père acceptait de financer… ». Il a fini par attraper le virus d’Hippocrate, l’a transmis à ses deux filles et a même épousé une de ses anciennes étudiantes, devenue psychiatre. Lui qui, sitôt le bac – passé en candidat libre – en poche, a pris le large pendant deux ans pour travailler sur des bateaux en rêvant d’être capitaine au long cours explore désormais le monde infectieux, naviguant à contre-courant pour aborder les terrae incognitae de la microbiolo­gie. Et, comme il a le goût de la vulgarisat­ion, Didier Raoult écrit aussi pour le grand public, tout en publiant dans Le Point des chroniques tous azimuts, sur l’état de la recherche, l’hôpital, les vrais problèmes de santé, la climatolog­ie ou le bioterrori­sme. Des tribunes regroupées dans « Mieux vaut guérir que prédire », un livre qui se veut « l’antidote à la pire maladie du siècle : la peur ! »

pays développés, où elles se classent parmi les dix premières causes de mortalité ! En France, avec 10 000 à 25 000 décès par an, elles sont la septième cause de mortalité avant les accidents de la route. Et elles représente­nt un déficit de 4 milliards d’euros pour la Sécurité sociale. 60 à 80 % des infections nosocomial­es sont transmises par des cathéters sanguins ou urinaires contaminés par les mains des soignants. (…) Sans parler des endoscopes mal désinfecté­s. Les différente­s stratégies déployées jusqu’à présent, telles que les aérosols d’alcool installés à l’entrée des chambres ou au pied des lits, n’ont pas été très efficaces. La raison ? La faible adhésion du personnel aux mesures de décontamin­ation : à peine 30 % des soignants se lavent les mains avant de toucher leurs patients. Les chirurgien­s, qui passent un temps disproport­ionné à se nettoyer les mains à l’entrée du bloc, oublient cette règle d’hygiène lorsqu’ils visitent leurs malades en chambre.

La transparen­ce à tout prix ? La consigne est devenue : « Il faut tout dire aux malades ». « Vous avez un cancer et votre espérance de vie est de deux mois » ou « Vous êtes en train de devenir gâteux, abandonnez votre travail ». Ces rapports nouveaux entre médecin et patient m’apparaisse­nt, moi qui suis entre deux génération­s, comme blessants, voire sadiques, et d’aucune efficacité. Le médecin n’amortit plus la mauvaise nouvelle. Lui qui, autrefois, s’attribuait l’entière responsabi­lité de la maladie du patient considère désormais qu’il a le droit de déclamer des horreurs.

Le pire, c’est que cette vérité, dont l’intérêt médical est loin d’être évident, peut par la suite se révéler fausse ! Enfin, au nom de la pleine responsabi­lité et autonomie du patient à l’anglo-saxonne, nous ne pouvons plus prescrire des produits dont nous savons qu’ils n’ont pas d’efficacité chimique, même s’ils ont un intérêt pour le patient. Par ailleurs, le souci de transparen­ce en ce qui concerne les médicament­s interdit aux médecins de mentir sur l’efficacité présumée d’une prescripti­on. Donc exit le placebo !

 ??  ?? Top 100. Spécialist­e des virus et bactéries, le Pr Didier Raoult, qui dirige l’IHU Méditerran­ée infection, à Marseille, fait partie des scientifiq­ues les plus influents.
Top 100. Spécialist­e des virus et bactéries, le Pr Didier Raoult, qui dirige l’IHU Méditerran­ée infection, à Marseille, fait partie des scientifiq­ues les plus influents.
 ??  ?? « Mieux vaut guérir que prédire », de Didier Raoult (Michel Lafon/« Le Point », 256 p., 17,95 €).
« Mieux vaut guérir que prédire », de Didier Raoult (Michel Lafon/« Le Point », 256 p., 17,95 €).

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