Turquie : Daech, le carnage du Reina
Tournant. La Turquie, fragilisée par les purges, est devenue une cible privilégiée des djihadistes.
Apeine la Turquie a-t-elle franchi le seuil de 2017, laissant déjà derrière elle une sanglante année 2016, qu’elle est funestement rattrapée par la réalité. La nuit du réveillon, vers 1 heure, malgré un déploiement de 17 000 policiers dans le centre d’Istanbul, un homme fait irruption au Reina, une boîte de nuit, et assassine 39 personnes à la kalachnikov. Le surlendemain, l’Etat islamique a revendiqué l’attentat.
Une première pour l’organisation terroriste, qui maintenait volontairement le flou sur ses actions en Turquie. L’EI était soucieux de ne pas entrer en conflit direct avec Ankara, qui constitue pour lui un vivier pour recruter de nouveaux combattants ainsi qu’une zone de transit pour les djihadistes en route pour la Syrie ou l’Irak. Longtemps, Recep Tayyip Erdogan avait d’ailleurs été accusé de fermer les yeux sur cette situation, tolérant le passage de ces terroristes qui combattent en Syrie les forces du régime de Damas et les milices kurdes du PYD, branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ennemi déclaré d’Ankara.
L’attaque du Reina est une déclaration de guerre ouverte à la Turquie d’Erdogan, qui, depuis plus d’un an et demi, a intensifié sa lutte contre l’organisation en cadenassant sa frontière avec la Syrie et en multipliant les coups de filet dans les milieux djihadistes (1 300 personnes en lien avec Daech arrêtées en 2016). « Ce nouvel attentat est avant tout une forme de représailles contre l’opération turque menée en Syrie », explique Sinan Ulgen, président du Center for Economics and Foreign Policy. Depuis plusieurs jours déjà, l’EI appelait à punir la Turquie pour le lancement, en août 2016, d’une vaste offensive militaire – avec le consentement de Moscou, principal allié d’El-Assad – contre des bastions djiha- distes, mais aussi contre les milices kurdes, dans le nord de la Syrie.
Le « rappel à l’ordre » lancé au leader turc a beau être direct et sanglant, celui-ci reste inflexible sur ses desseins régionaux. Le chef de l’Etat restant en retrait médiatique après l’attaque, c’est le porteparole du gouvernement, Numan Kurtulmus, qui transmettra le message : « Nous continuerons à mener nos opérations extérieures avec détermination. » Quelques heures après l’attentat à Istanbul, l’aviation et l’artillerie turques pilonnaient de nouveau les positions djihadistes près d’Al-Bab, dans le nord de la Syrie. Plusieurs dizaines de djihadistes ont été tués. Une détermination qui pourrait ne pas être sans conséquences, estime Ulgen : « L’attentat est aussi un avertissement pour Ankara. Daech souhaite dire aux Turcs que, s’ils poursuivent leur mission dans le nord de la Syrie, d’autres attaques viendront. »
Au lendemain de l’attentat, de nombreuses voix s’élèvent pour questionner la capacité réelle de la Turquie à déjouer les menaces terroristes. En un an, plus de 300 personnes ont perdu la vie dans une dizaine d’attaques d’ampleur revendiquées par des groupes affiliés au PKK ou attribués à l’EI. Le constat d’échec est là, implacable.
On pointe alors du doigt les conséquences des purges lancées par l’homme fort de Turquie au lendemain du coup d’Etat qui a manqué de le renverser en juillet 2016. Plus de 90 % des membres des services de renseignement de la police ont été suspendus, remplacés à la hâte par du personnel davantage choisi pour sa loyauté au pouvoir que pour son efficacité. « Ces purges contre des membres de Feto [NDLR, mouvement proche de l’imam Fethullah Gülen, accusé d’être le cerveau du coup d’Etat], très implanté dans cette institution, ont créé de nombreuses failles dans le renseignement. Il y a désormais un manque de stratégie au sein des services » , souligne Nihat Ali Ozcan, expert des questions de sécurité. Et de prévenir : « Les djihadistes ainsi que des groupes kurdes liés au PKK vont chercher à utiliser ces failles pour fragiliser la Turquie. »
Ferme, Erdogan continuera à mener les opérations extérieures « avec détermination ».