Jean-Marc Daniel : « Les pays occidentaux sont toujours en avance »
L’économiste ne croit pas au déclin de l’Occident.
Pour l’économiste libéral Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP Europe, qui vient de publier « 3 controverses de la pensée économique » (Odile Jacob), l’augmentation du pouvoir d’achat dans les pays riches passe désormais par la baisse des prix.
Le Point : La domination économique occidentale est-elle sur le point de s’effacer au profit de nouvelles puissances comme la Chine ? Jean-Marc Daniel :
La Chine comble son retard. Mais ce mouvement ne se fait pas au détriment des pays occidentaux. Trois éléments montrent qu’ils sont toujours en avance. D’abord, la technologie continue d’être essentiellement américaine et, accessoirement, européenne et japonaise. Ensuite, la monnaie mondiale reste le dollar américain. Enfin, les règles du jeu sont encore définies par un cadre juridique qui vient de l’Occident. L’Organisation mondiale du commerce en est un bon exemple. Les pays qui se sont sortis du colonialisme et du communisme ne cherchent pas un modèle alternatif au modèle occidental.
Sur le plan technologique, la Chine fait d’énormes progrès...
Elle n’en reste pas moins liée à un modèle d’imitation des technologies occidentales.
Est-ce la fin d’un cycle de mondialisation ?
On constate effectivement un plafonnement du commerce par rapport à la production mondiale. Mais c’est parce que les effets bénéfiques de l’ouverture aux échanges sont derrière nous.
Ces bienfaits ont-ils été surestimés ? Michel Onfray parle d’un facteur « d’enrichissement des riches et d’appauvrissement des pauvres ».
Le commerce améliore le niveau de vie des plus pauvres ! Les gens voient uniquement la suppression des emplois dans le textile à cause des tee-shirts chinois. Mais qui les achète ? Ce sont les plus modestes des Occidentaux. L’économiste américain Gregory Mankiw le résume en relevant qu’il vit essentiellement avec l’euro, alors que sa secrétaire, elle, vit surtout avec le yuan. Mankiw achète des costumes Armani, une BMW, boit du chablis. Sa secrétaire, elle, achète des tee-shirts et des jouets chinois, et roule en Hyundai.
Qu’est-ce qui génère le malaise de l’homme blanc de 50 ans qui a voté pour Trump, alors ?
Ce qui a supprimé des emplois peu qualifiés, c’est le progrès technique. Pas le commerce. Mais l’homme blanc dont vous parlez conteste surtout un certain nombre de positions philosophiques qui lui paraissent en contradiction avec son propre intérêt. Avant, il voyait l’arrivée de main-d’oeuvre comme un élément indispensable à la construction de son pays. Aujourd’hui, il perçoit le travailleur immigré comme quelqu’un qui s’approprie ses bénéfices sociaux.
Et le déclin démographique de l’Occident ?
C’est vrai. La jeunesse est africaine et la vieillesse est européenne. Mais ce n’est pas un facteur de déclin, à condition de convaincre les électeurs de Trump, justement, que l’immigration est une bonne chose. Qu’on le veuille ou non, ce sont les Africains qui paieront pour les retraites européennes. La question est de savoir si cela se fera par une captation des usines africaines par les Européens ou si ce sont les Africains qui viendront travailler dans les nôtres.
La croissance baisse aussi structurellement. N’est-ce pas un autre signe de décadence ?
C’est vrai, nous ne connaîtrons plus la croissance des Trente Glorieuses, qui étaient une période de rattrapage. Les gains de pouvoir d’achat passent désormais par la baisse des prix plus que par l’augmentation des revenus. Il faut donc concevoir des systèmes de protection sociale dans une situation structurelle de déflation. Piketty a raison de dire que, dans ce contexte, les revenus qui continuent à augmenter sont les revenus du capital à intérêt fixe. Il y a donc une vraie question de redistribution. Mais, plutôt que d’instaurer un impôt mondial sur le capital, comme il le propose, il faut s’attaquer aux nouvelles rentes. Autrement dit, casser les inégalités d’accès plus que les inégalités de revenus.
C’est-à-dire ?
Il faut remettre en question les professions à statut comme les taxis, la fonction publique ou encore la rente immobilière. Il faut aussi faire en sorte que les gens aient accès à une formation de bon niveau