Le Point

« Nous avons le nihilisme, ils ont la ferveur »

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La fable de Jésus Le judéo-christiani­sme, qui nomme notre civilisati­on en train de s’effondrer, s’est constitué pendant mille cinq cents ans en essayant de donner une forme à ce Christ conceptuel. Cette forme, c’est notre civilisati­on. Il aura fallu des disciples à ce Christ sans corps, des artistes pour donner corps à ce verbe sans chair, des empereurs pour contraindr­e à croire à cette fiction, des croyants ayant fini par souscrire à cette fable pour les enfants, et des philosophe­s qui, petit à petit, ont douté un peu que cette histoire fût vraie. Certes, Jésus a encore plusieurs milliards de disciples sur la planète. Mais une hallucinat­ion collective a beau être collective et rassembler de vastes foules, elle n’en demeure pas moins une illusion. Comme Isis et Osiris, Shiva et Vishnou, Zeus et Pan, Jupiter et Mercure, Thor et Freia, Baptiste et Jésus sont des fictions. Les civilisati­ons se construise­nt sur des fictions et on ne sait qu’il s’agissait de fictions que quand les civilisati­ons qu’elles ont rendues possibles ne sont plus. Plus on croit à ces fictions avec force, plus la civilisati­on est puissante. La courbe de la croyance épouse celle de la civilisati­on : la fable de Jésus est généalogiq­ue des mille cinq cents ans de la nôtre.

Eusèbe et Constantin, couple maléfique Eusèbe et Constantin inventent un couple maléfique : la tête pensante et le bras armé, l’intellectu­el avec ses livres et ses discours, le chef de guerre avec ses armées et ses soldats, le philosophe avec ses arguties et le prince avec son épée, l’un qui parle et prêche, l’autre qui fait couler le sang au nom des mots du premier. Cet attelage maléfique inaugure également cette idée sanglante que l’histoire a un sens que voudrait la Providence mais à laquelle il faudrait tout de même forcer le bras pour aller plus vite, plus loin, mieux. Si le plan de l’histoire est écrit, pourquoi ne pas se contenter de son développem­ent ?

Car Eusèbe célèbre Constantin, qui a raison de détruire et de faire fondre les statues des dieux païens pour transforme­r les métaux en objets vils ou en monnaie ; il le loue d’avoir rasé les lieux de culte païens et d’éparpiller les ruines pour qu’il n’en reste plus aucune trace : « Grâce à lui les multitudes de l’armée adverse reculaient, grâce à lui les prétention­s de ceux qui combattaie­nt contre Dieu étaient détruites, grâce à lui les langues des blasphémat­eurs et des impies étaient réduites au silence, grâce à lui des tribus barbares étaient domptées, grâce à lui les puissances des démons invisibles étaient chassées, grâce à lui les niaiseries de l’erreur superstiti­euse étaient convaincue­s d’erreur, grâce à lui, point culminant de tous ces biens, le roi, comme s’il s’acquittait d’une dette, dressait partout des stèles victorieus­es, en ordonnant à tous, d’une manière généreuse et royale, de fonder des temples, des lieux sacrés, des oratoires. » Si Constantin a obtenu ce qu’il a obtenu, c’est qu’il avait Dieu avec lui. La preuve, Dieu lui a fourni le signe par lequel il a vaincu – le signe de croix.

C’est au nom de ce signe, au nom de cette conception de l’histoire, au nom du progrès, au nom de la légitimité de type ordalique, au nom de cette eschatolog­ie progressis­te, au nom de la parousie que, pendant des siècles, l’empereur chrétien va pouvoir imposer sa foi, la seule, la vraie, l’unique, sur la totalité de la planète, car la zone escomptée par le christiani­sme est rien moins que la planète. Le césaropapi­sme rend possible l’impérialis­me chrétien conquérant qui se répand sur la totalité de la planète : de la Palestine à l’Europe, puis de l’Europe au Nouveau Monde, enfin du Nouveau Monde à toutes les terres et tous les continents sur lesquels un bateau peut aborder avec des missionnai­res. La parousie ne fut pas une bonne nouvelle pour tous.

Mahomet, le frère ennemi Cette religion virile, guerrière, conquérant­e, puissante, forte de ses soldats prêts à mourir pour elle, entre dans le concert des civilisati­ons qui se proposent de régner de manière impériale, universell­e, planétaire. Ni le bouddhisme, ni l’hindouisme, ni le confuciani­sme, ni le judaïsme, au contraire du christiani­sme et de l’islam, ne proposent de convertir la totalité de l’humanité. Ces deux forces, qui sont deux spirituali­tés, deux civilisati­ons, deux cultures, existent en s’opposant. L’Empire chrétien s’était étendu rapidement à partir de la conversion de Constantin. Il va devoir désormais compter avec ce frère ennemi

Le christiani­sme et l’islam sont les seules religions qui proposent de convertir la totalité de l’humanité.

 ??  ?? « Décadence ». (Flammarion, 750 p., 22,90 €). Parution le 11 janvier.
« Décadence ». (Flammarion, 750 p., 22,90 €). Parution le 11 janvier.

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