L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
L’avenir de la Syrie, autrement dit son charcutage, se décidera entre la Russie et la Turquie, accessoirement l’Iran. C’est un signe parmi d’autres de l’incroyable déréliction de l’Occident réduit, comme les vaches, à regarder passer les trains.
Après avoir lu « Décadence » de Michel Onfray, on ne peut que relativiser : notre agonie a commencé il y a très longtemps. L’idylle russo-turque n’est qu’une pierre de plus dans un processus qui déconstruit peu à peu la civilisation occidentale.
Barack Obama aura en tout cas été le président du grand effacement américain et on a peine à imaginer que Donald Trump, avec sa « diplomatie » éléphantesque, sera celui d’un nouvel âge d’or. Nul doute que les Etats-Unis continueront de dégringoler la pente qui, ces temps-ci, se raidit.
Qu’est-ce qui cloche dans notre Occident rongé comme par des puces par le populisme, le ressentiment, le cynisme et le souverainisme ? Michel Onfray n’a pas peur de dire le mot : la décadence. Selon lui, elle prépare l’avènement d’une autre civilisation, pas réjouissante.
Sommes-nous dans la dernière ligne droite avant le néant ? Le déclin de l’Occident nous a déjà été conté par Oswald Spengler, entre autres, au début du XXe siècle, et tout semble avoir été dit dessus. L’originalité de Michel Onfray est de remonter à la racine du mal et de nous montrer que le ver était dans le fruit : « Décadence » est un livre énorme, lumineux, passionnant, l’épopée de notre civilisation judéo-chrétienne, vieille de plus de 2 000 ans, qui, selon lui, a fait son temps. Une sorte de requiem hugolien.
A la source de notre civilisation, il y a une secte transformée en Eglise et qui, d’après Michel Onfray, portait la mort en elle. Autant dire que le croyant syncrétique, donc hérétique, auteur de ces lignes a parfois passé un mauvais quart d’heure en lisant certains passages. Mais l’honnêteté oblige à dire que les pages consacrées à saint Paul sont un régal. Le prédicateur vitupérant de l’« Epître aux Corinthiens » n’a-t-il pas imposé ses névroses personnelles à travers une doxa phallocrate et misogyne qui exalte la haine du corps ? Tout juif qu’il était, le treizième apôtre n’a-t-il pas amorcé aussi le concubinage entre le christianisme et l’antisémitisme ? Un bémol sur les liens entre le nazisme et les catholiques, développés non sans quelques arguments par Michel Onfray. Si le pape Pie XII ne fut pas un foudre de guerre contre Hitler, on ne peut passer à l’as la franche hostilité de son prédécesseur, la condamnation du IIIe Reich par les évêques allemands, lors de la conférence de Fulda, en 1931, ni la résistance de mouvements catholiques comme La Rose blanche. Mais bon, si nombre de ses prêtres martyrs ont sauvé son honneur, on conviendra que l’Eglise ne fut pas toujours grandiose pendant cette période.
Le moindre des mérites de « Décadence » n’est pas de mettre en pièces toutes les impostures de l’Histoire qui ont creusé la tombe de notre civilisation. Force est de constater que la déchristianisation ne lui a pas porté chance. Jubilatoire est le démontage de Jean-Jacques Rousseau, philosophe du ressentiment et père spirituel du délire communiste, qui a construit tout son système à partir d’une règle hallucinante : « Commençons donc par écarter tous les faits. »
Jouissive est la déconstruction de la Révolution française, quand Michel Onfray met en lumière l’invention du totalitarisme et du principe d’extermination pendant les guerres de Vendée contre un petit peuple catholique, au nom de la régénération rousseauiste et de l’homme nouveau. Saisissant est son rapprochement entre le slogan aux frontons des premiers camps de la mort des communistes soviétiques à partir de 1918 (« Vive le travail libre et joyeux ! ») et celui des nazis vingt ans plus tard : « Le travail rend libre. » Fascinante est sa plongée dans la passion du nihilisme et la métaphysique de Mai 68.
Où allons-nous ? Pas très loin. Face à la montée d’un islam conquérant et sans pitié, le judéo-christianisme semble bien épuisé. Tandis que le glas égrène ses dernières notes, il ne reste plus à notre civilisation qu’à « sombrer avec élégance » avant d’être remplacée par une autre qui mourra à son tour.
Moitié ogre, moitié prophète, Michel Onfray est en train de devenir à lui tout seul notre philosophe national et notre conscience collective.
Dans ce grand livre, il désespère, non sans raison, du culte de l’immédiateté et de la déterritorialisation. Pour lui donner tort ou du moins retarder de quelques siècles encore la fin de notre civilisation, il faudrait que nous croyions en nous, en l’Europe, en notre modèle de société. C’est sans doute trop demander, même si un sondage étonnant (1) vient de révéler que les Français, champions du broyage de noir, se déclaraient à 58 % optimistes pour 2017 ! 1. Harris Interactive pour RTL.