Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Ce que les militaires écrivent bien. Jules César, pour commencer. Sa « Guerre des Gaules ». Publiée en 51 avant Jésus-Christ, lorsqu’il avait 49 ans. Avait été très occupé avant. Marc Aurèle n’était pas soldat mais il a fait beaucoup de guerres. Il a écrit douze livres, tous parus après sa mort. C’est mieux que d’être édité de son vivant : on ne peut pas lire les mauvaises critiques. Quoique des articles hostiles à Marc Aurèle, au IIe siècle après Jésus-Christ, il n’y en aurait pas eu beaucoup dans le monde romain. Devant un empereur, les critiques littéraire­s se calment. Il n’y a qu’à les voir devant un président. Le sous-lieutenant d’artillerie Laclos – inventeur du boulet creux – a écrit le plus beau roman du XVIIIe siècle, qu’on n’eut le droit de lire qu’au XIXe : « Les liaisons dangereuse­s ». On peut compter Marcel Proust parmi les militaires écrivains : n’a-t-il pas devancé l’appel en 1889 pour être incorporé au 76e régiment d’infanterie à Orléans ? Et enfin le général de Gaulle, qui fit fortune avec ses « Mémoires de guerre » et ses « Mémoires d’espoir », ce qui lui permit de refuser et son traitement et sa retraite de président de la République. Il a vécu de sa plume, comme Dickens et Balzac. Il était même désigné, dans sa feuille d’impôt, comme travailleu­r indépendan­t.

Le colonel Jacques Hogard avait écrit, en 2005, « Les larmes de l’honneur. 60 jours dans la tourmente du Rwanda », aujourd’hui ré é d i t é , av e c nombre d’ajouts et de développem­ents, chez Hugo (12,99 €). Le 22 juin 1994, Jacques Hogard est désigné pour prendre le commandeme n t d’ u n de s tr o i s groupement­s militaires de l’opération Turquoise. Les écrivains font des plans et les militaires des plans d’état-major : plus précis, Hogard, avec la force et la rigueur d’un officier supérieure­ment doué pour les lettres, raconte ces deux mois passés dans le sud-ouest du Rwanda, entre réfugiés hutus et réfugiés tutsis, militaires tutsis et militaires hutus. Le moins qu’on puisse dire est que l’auteur ne porte pas Paul Kagame, qu’il appelle toujours le « général-président » pour souligner ses manières de dictateur africain, dans son coeur. Indigné du procès fait, dans les médias, à la France et à ses militaires par le gouverneme­nt rwandais et ses alliés – Hogard dirait ses complices – anglo-saxons, le colonel met beaucoup de soin à décrire toutes les opérations effectuées avec ses hommes pendant deux mois et qui ne sont en rien comparable­s à ce qui aurait pu être une quelconque participat­ion au génocide. En vérité, je soupçonne Kagame de reprocher encore à la France de l’avoir empêché, en 1990, de prendre Kigali avec ses troupes tutsies insurgées. Ce qui, de fait, aurait évité au Rwanda le drame de 1994.

« Les larmes de l’honneur » est un beau livre de colère froide d’un homme blessé, au sang chaud, qui a aujourd’hui quitté l’armée pour diriger un groupe de sociétés de conseil et d’assistance au développem­ent internatio­nal spécialisé en intelligen­ce stratégiqu­e et en sûreté. Je conseille l’ouvrage aux gens qui n’ont rien compris à la guerre FPR-FDLR et à ceux qui l’ont comprise. Je laisse les autres à leur mauvaise foi malade

« Je soupçonne Kagame de reprocher encore à la France de l’avoir empêché, en 1990, de prendre Kigali avec ses troupes tutsies insurgées. Ce qui, de fait, aurait évité au Rwanda le drame de 1994. »

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Le président rwandais Paul Kagame.

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