Belize, Apothéose Now
Escale au Turtle Inn, l’écolodge que Francis Ford Coppola a posé auprès de la barrière de corail, joyau du pays.
Al’origine, il y a une envie de jungle. Comme s’il n’avait pas eu son compte de chlorophylle au cours du calamiteux tournage d’« Apocalypse Now », Francis Ford Coppola envisage au début des années 1980 d’acquérir un pied-à-terre au coeur de la forêt philippine. Devant le peu d’enthousiasme de sa femme, Eleanor, il opte pour l’Amérique centrale, destination plus raisonnable lorsqu’on habite la Californie, et rachète Blancaneaux, un hôtel perdu dans la forêt bélizienne. En 1999, frustré de ne jamais voir la mer ni la barrière corallienne, joyau du pays, il acquiert le Turtle Inn, une poignée de modestes cabanons sur l’une des plages de la longue péninsule sablonneuse de Placencia. Un ouragan conciliant balaie le tout et lui permet de reconstruire, en 2003, un resort écolochic à la décoration d’inspiration balinaise. En déambulant entre les figuiers étrangleurs et les statues bouddhiques, Martin Krediet, le directeur de l’hôtel, nous explique : « Coppola s’implique autant dans la déco de ses hôtels que dans les décors de ses films . Appelons cela “barefoot elegance”, cette approche du luxe reste relax et naturelle. Ni télévision ni air conditionné susceptibles de couvrir la respiration des vagues, mais un excellent réseau wi-fi. »
Sous vos yeux, des pélicans aux allures de B-17 plongent dans la mer des Caraïbes et redécollent lourdement, le jabot rempli d’un fretin turbulent. Au large, là où l’azur de la mer se fond dans celui du ciel, s’étire la plus longue barrière de corail de l’hémisphère Nord, un chapelet de cayes et de récifs affleurants que l’Unesco a ajouté à la liste du patrimoine mondial. Tous les matins, le « Miss Elie », baptisé ainsi en l’honneur d’Eleanor Coppola, emporte la tribu de plongeurs impatients vers les plus beaux sites, à l’extérieur de la barrière, là où le récif plonge sans hésitation dans un abîme outremer.
South Silk Caye est une langue de sable qui semble prête à partir à la dérive. Une fratrie de palmiers entêtés tient bon contre alizés et marées. Sous le miroir de la surface, dans un savant décor d’éponges aux formes exubérantes, les nuages de chromis, ces poissons iridescents
aux reflets bleu-vert, explosent sous les bulles des plongeurs ; des bancs de labres créoles dégringolent le long des reliefs coralliens en averses pourpres et s’écartent devant quelques requins-nourrices. Si ces derniers se font parfois insistants, c’est qu’ils attendent leur friandise : des poissons-lions, une espèce invasive du Pacifique que les guides de plongée combattent à coups de harpon bien ajustés. Non loin de là, à Gladden Spit, une vingtaine de requins-baleines de 6 à 12 mètres de longueur ont pris l’habitude de se goberger des millions d’oeufs pondus lors du grand frai des vivaneaux, entre avril et juin. Il faut tenter sa chance, car, même si les ogres ne sont pas au rendez-vous, le survol des tombants au sud de Gladden Caye délivre toujours son lot de raies-aigles, de coureurs arc-en-ciel et de carangues bleues. De retour au Turtle Inn, les produits de la chasse sont soigneusement découpés en filets par le chef cuistot et finissent en ceviche ou à la plancha, qu’on arrosera avec bonheur de l’une des 1 200 bouteilles issues des deux vignobles Coppola, plantés au coeur de la Napa Valley, en Californie. Le combat pour la biodiversité a parfois des côtés plaisants