Fillon : « Mutti » ou « Maggie » ?
François Fillon ferait bien de mettre en avant le libéralisme « merkélien » de son programme.
T out
le monde constate, les instituts de sondages les premiers, que la campagne de François Fillon a perdu de son élan. Moins probablement en raison des attaques attendues et convenues de la gauche et du Front national qu’à cause des critiques issues de son propre camp sur son programme économique. Taxé dès l’entre-deux-tours de la primaire de la droite de « brutal » et d’ « inapplicable » par Alain Juppé et aujourd’hui qualifié, pour mieux le disqualifier, de « thatchérien » par François Bayrou, qui a bien compris que la Dame de fer continuait à faire figure d’épouvantail auprès d’une grande majorité de Français.
Pour autant, et au grand dam de nombre de ses « amis », qui y voient un entêtement potentiellement suicidaire pour la droite, M. Fillon ne semble guère disposé pour le moment à édulcorer son projet économique et à mettre de l’eau dans son libéralisme. Sans doute craint-il d’y perdre sa crédibilité, mais surtout il est au fond intimement convaincu que des demi-mesures et des semi-réformes ne suffiront pas à remettre l’économie française sur pied. Il est en revanche surprenant que ses innombrables conseillers en communication ne poussent pas M. Fillon à vanter le libéralisme « merkélien » de son programme, moins traumatisant et plus vendable électoralement que l’ultralibéralisme « thatchérien ». A faire l’éloge de « Mutti » plutôt que de « Maggie ».
L’Allemagne de Mme Merkel apporte d’abord la preuve qu’avec de vraies réformes structurelles – initiées par Gerhard Schröder – pour libéraliser le marché du travail et le rendre plus souple et flexible, sans pour autant instaurer la loi de la jungle, la courbe du chômage peut s’inverser rapidement et durablement. En 2005, l’Allemagne avait un taux de chômage supérieur à celui de la France (11,2 % contre 8,9 %). Depuis, il a été divisé par deux outreRhin et vient de tomber à son plus bas niveau (5,8 %) depuis la réunification, quand il est remonté dans le même temps en France à 10 %. Plus de 4 millions d’emplois ont été créés en Allemagne en dix ans, tandis que le nombre d’emplois du secteur marchand est resté inchangé en France. En situation de plein-emploi, l’Allemagne s’offre le luxe insolent de voir sa caisse d’assurance-chômage dégager des excédents record (5 milliards d’euros en 2016, contre 4,3 milliards d’euros de déficit pour l’Unedic) et de pouvoir réduire de 5 000 postes les effectifs de son agence pour l’emploi, faute de chômeurs à gérer. Enfin, l’Allemagne se retrouve en mesure d’augmenter substantiellement les salaires. Les quelque 4 millions d’employés du secteur de la métallurgie ont obtenu au printemps 2016 une hausse de 4,8 % de leurs rémunérations sur vingt et un mois. Les fonctionnaires, eux, verront leurs salaires augmenter de 4,75 % en 2016 et 2017. Quant au smic allemand, il vient de bénéficier d’un sérieux coup de pouce, avec une hausse de 4 % au 1er janvier.
Contrairement à une idée aussi fausse que répandue dans notre pays, l’économie allemande échappe de fait aujourd’hui largement à une austérité qu’on a fâcheusement et culturellement tendance en France à confondre avec des comptes publics et sociaux bien gérés. On peut rappeler à cet égard que l’assurance-maladie allemande a accumulé depuis dix ans plus de 10 milliards d’euros d’excédent quand la Sécu française a enregistré plus de 100 milliards d’euros de déficit. On peut aussi
Le smic allemand vient de bénéficier d’un sérieux coup de pouce, avec une hausse de 4 % au 1er janvier.
rappeler que la dette publique allemande a baissé de 10 points de PIB depuis 2010, tandis qu’elle a augmenté dans le même temps de 15 points de PIB en France. Par charité chrétienne, puisque c’est très à la mode, on passera enfin sous silence le fait que l’Allemagne devrait connaître en 2016 un surplus commercial du même ordre que celui de 2015 (250 milliards d’euros), à comparer avec un déficit d’environ 50 milliards d’euros pour la France.
Le résultat de tout cela, c’est que l’Allemagne s’enrichit en travaillant quand la France s’appauvrit en chômant. En 2005, selon les statistiques de la Banque mondiale, le PIB par habitant se situait en Allemagne à 34 696 dollars et était légèrement inférieur à celui de la France (34 879 dollars). Dix ans plus tard, le PIB par habitant s’établit à 41 313 dollars en Allemagne, très largement au-dessus du niveau de 36 205 dollars en France.
Il faut observer l’Allemagne de loin, avec des jumelles totalement déréglées par de vieux prismes « trotskysants », pour expliquer sans rire, comme Jean-Luc Mélenchon, qu’elle représente l’enfer économique sur terre, peuplé de hordes de travailleurs misérables et affamés. Un enfer économique où les Allemands, qui ont réélu à deux reprises Mme Merkel, semblent plutôt satisfaits de leur sort et de leurs souffrances. Un enfer où 1 million de réfugiés ont, bizarrement, souhaité s’installer pour y refaire leur vie, refusant obstinément d’aller déguster les merveilles du modèle social français si cher à la gauche et si cher tout court.
Il faut aussi la prétention incommensurable et la fatuité pathétique des candidats à la primaire de la Belle Alliance populaire pour oser dire que, s’ils sont élus, ils commenceront par se rendre à Berlin pour exiger de l’Allemagne qu’elle réoriente sa politique économique. Avec cette logique très socialiste selon laquelle tirer le meilleur et l’économie allemande vers le bas permettrait d’améliorer le niveau des mauvais élèves.
Quant à François Fillon, plutôt que de voir modestement dans l’Allemagne un modèle à imiter, il annonce de façon un peu présomptueuse qu’il entend la détrôner et faire de la « France la première puissance européenne dans dix ans » . On n’en demande pas tant. Parvenir à combler au cours du prochain quinquennat une partie de notre retard économique sur l’Allemagne, réussir à rapprocher notre taux de chômage, nos niveaux de vie, de dette publique et d’exportations de ceux observés outre-Rhin suffiraient déjà largement à notre bonheur