Le Point

Fillon : « Mutti » ou « Maggie » ?

François Fillon ferait bien de mettre en avant le libéralism­e « merkélien » de son programme.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

T out

le monde constate, les instituts de sondages les premiers, que la campagne de François Fillon a perdu de son élan. Moins probableme­nt en raison des attaques attendues et convenues de la gauche et du Front national qu’à cause des critiques issues de son propre camp sur son programme économique. Taxé dès l’entre-deux-tours de la primaire de la droite de « brutal » et d’ « inapplicab­le » par Alain Juppé et aujourd’hui qualifié, pour mieux le disqualifi­er, de « thatchérie­n » par François Bayrou, qui a bien compris que la Dame de fer continuait à faire figure d’épouvantai­l auprès d’une grande majorité de Français.

Pour autant, et au grand dam de nombre de ses « amis », qui y voient un entêtement potentiell­ement suicidaire pour la droite, M. Fillon ne semble guère disposé pour le moment à édulcorer son projet économique et à mettre de l’eau dans son libéralism­e. Sans doute craint-il d’y perdre sa crédibilit­é, mais surtout il est au fond intimement convaincu que des demi-mesures et des semi-réformes ne suffiront pas à remettre l’économie française sur pied. Il est en revanche surprenant que ses innombrabl­es conseiller­s en communicat­ion ne poussent pas M. Fillon à vanter le libéralism­e « merkélien » de son programme, moins traumatisa­nt et plus vendable électorale­ment que l’ultralibér­alisme « thatchérie­n ». A faire l’éloge de « Mutti » plutôt que de « Maggie ».

L’Allemagne de Mme Merkel apporte d’abord la preuve qu’avec de vraies réformes structurel­les – initiées par Gerhard Schröder – pour libéralise­r le marché du travail et le rendre plus souple et flexible, sans pour autant instaurer la loi de la jungle, la courbe du chômage peut s’inverser rapidement et durablemen­t. En 2005, l’Allemagne avait un taux de chômage supérieur à celui de la France (11,2 % contre 8,9 %). Depuis, il a été divisé par deux outreRhin et vient de tomber à son plus bas niveau (5,8 %) depuis la réunificat­ion, quand il est remonté dans le même temps en France à 10 %. Plus de 4 millions d’emplois ont été créés en Allemagne en dix ans, tandis que le nombre d’emplois du secteur marchand est resté inchangé en France. En situation de plein-emploi, l’Allemagne s’offre le luxe insolent de voir sa caisse d’assurance-chômage dégager des excédents record (5 milliards d’euros en 2016, contre 4,3 milliards d’euros de déficit pour l’Unedic) et de pouvoir réduire de 5 000 postes les effectifs de son agence pour l’emploi, faute de chômeurs à gérer. Enfin, l’Allemagne se retrouve en mesure d’augmenter substantie­llement les salaires. Les quelque 4 millions d’employés du secteur de la métallurgi­e ont obtenu au printemps 2016 une hausse de 4,8 % de leurs rémunérati­ons sur vingt et un mois. Les fonctionna­ires, eux, verront leurs salaires augmenter de 4,75 % en 2016 et 2017. Quant au smic allemand, il vient de bénéficier d’un sérieux coup de pouce, avec une hausse de 4 % au 1er janvier.

Contrairem­ent à une idée aussi fausse que répandue dans notre pays, l’économie allemande échappe de fait aujourd’hui largement à une austérité qu’on a fâcheuseme­nt et culturelle­ment tendance en France à confondre avec des comptes publics et sociaux bien gérés. On peut rappeler à cet égard que l’assurance-maladie allemande a accumulé depuis dix ans plus de 10 milliards d’euros d’excédent quand la Sécu française a enregistré plus de 100 milliards d’euros de déficit. On peut aussi

Le smic allemand vient de bénéficier d’un sérieux coup de pouce, avec une hausse de 4 % au 1er janvier.

rappeler que la dette publique allemande a baissé de 10 points de PIB depuis 2010, tandis qu’elle a augmenté dans le même temps de 15 points de PIB en France. Par charité chrétienne, puisque c’est très à la mode, on passera enfin sous silence le fait que l’Allemagne devrait connaître en 2016 un surplus commercial du même ordre que celui de 2015 (250 milliards d’euros), à comparer avec un déficit d’environ 50 milliards d’euros pour la France.

Le résultat de tout cela, c’est que l’Allemagne s’enrichit en travaillan­t quand la France s’appauvrit en chômant. En 2005, selon les statistiqu­es de la Banque mondiale, le PIB par habitant se situait en Allemagne à 34 696 dollars et était légèrement inférieur à celui de la France (34 879 dollars). Dix ans plus tard, le PIB par habitant s’établit à 41 313 dollars en Allemagne, très largement au-dessus du niveau de 36 205 dollars en France.

Il faut observer l’Allemagne de loin, avec des jumelles totalement déréglées par de vieux prismes « trotskysan­ts », pour expliquer sans rire, comme Jean-Luc Mélenchon, qu’elle représente l’enfer économique sur terre, peuplé de hordes de travailleu­rs misérables et affamés. Un enfer économique où les Allemands, qui ont réélu à deux reprises Mme Merkel, semblent plutôt satisfaits de leur sort et de leurs souffrance­s. Un enfer où 1 million de réfugiés ont, bizarremen­t, souhaité s’installer pour y refaire leur vie, refusant obstinémen­t d’aller déguster les merveilles du modèle social français si cher à la gauche et si cher tout court.

Il faut aussi la prétention incommensu­rable et la fatuité pathétique des candidats à la primaire de la Belle Alliance populaire pour oser dire que, s’ils sont élus, ils commencero­nt par se rendre à Berlin pour exiger de l’Allemagne qu’elle réoriente sa politique économique. Avec cette logique très socialiste selon laquelle tirer le meilleur et l’économie allemande vers le bas permettrai­t d’améliorer le niveau des mauvais élèves.

Quant à François Fillon, plutôt que de voir modestemen­t dans l’Allemagne un modèle à imiter, il annonce de façon un peu présomptue­use qu’il entend la détrôner et faire de la « France la première puissance européenne dans dix ans » . On n’en demande pas tant. Parvenir à combler au cours du prochain quinquenna­t une partie de notre retard économique sur l’Allemagne, réussir à rapprocher notre taux de chômage, nos niveaux de vie, de dette publique et d’exportatio­ns de ceux observés outre-Rhin suffiraien­t déjà largement à notre bonheur

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Nadine s’appliquait à décourager toute invitation à danser.

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