Cancer, mode d’emploi
Dans son récit, Michel Richard pose, non sans humour, ses mots sur le mal.
L e cancer est une musique qui vous saute aux oreilles un beau matin moche. Il y a ce médecin en face de vous, dont c’est le métier de vous annoncer que vous l’avez. Vous remarquez les stylos dans la pochette de sa blouse blanche : écrit-il tant ? Pourquoi les docteurs sont-ils en blanc ? La couleur du deuil chez les reines est celle du chagrin chez les malades.
Le personnage principal de « Cancer rhapsodie » est journaliste. Un journaliste est un écrivain puisqu’il écrit. Dès qu’il apprend ce qui lui arrive, ou plutôt ce qui arrive à son corps car son esprit est en pleine forme, il sort un carnet de notes et note. Tout. Pas pour un article, aucun article n’étant aussi long qu’un cancer. Ce sera donc un livre. Ce livre.
On retrouve, dans « Cancer rhapsodie », l’esprit chantant du « Mariage des enfants » (Fayard, 2014) et de « On pouvait tout lui dire » (Fayard, 2015), les deux ouvrages précédents de l’auteur, sauf que ce n’est plus la même chanson. L’alacrité et l’ironie de Michel Richard s’appliquent ici à un refrain plus sombre, celui de la curiethérapie. A l’instar de Fritz Zorn (« Mars ») et d’Ania Francos (« Sauve-toi, Lola »), Michel garde toute sa tête à claques : il donne même parfois l’impression de s’amuser. L’homme est condamné à la maladie, cela a été bien expliqué par le Dr Knock dans le chef-d’oeuvre de Jules Romains (1923). Se soigner est aussi normal que prendre une douche : c’est ou ce sera le sort de chacun. Après la banalité du mal, celle de la maladie. Tout le génie des Grecs : appeler les êtres humains des mortels. Rien qu’en remerciement, on pourrait effacer leur dette abyssale envers l’Union européenne.
Râler et positiver. Reportage attentif et détaillé, d’une précision qu’on ne pourra pas ne pas qualifier de clinique sur un traitement lourd en banlieue parisienne – Villejuif –, « Cancer rhapsodie » est aussi un petit bréviaire du patient sérieux. Il y a de bons et de mauvais élèves du cancer : ne passent-ils pas des examens ? Le narrateur s’applique : il fait tout ce que les professeurs lui disent de faire, dont il tient le compte. Il nous offre un manuel de bon comportement en cas de longue maladie. Etre ponctuel, ne pas se décourager, ne pas pleurer, ne pas trop rire, râler un minimum, positiver un maximum, ne pas peser sur l’entourage, se reposer sur sa famille, dire la vérité aux amis et sourire en silence aux ennemis, fuir les indifférents. Vivre. L’émotion n’est pas absente de ce texte allègre presque malgré lui : elle affleure à la surface des mots comme ces rochers qui affleurent à la surface de l’eau quand la mer se retire « Cancer rhapsodie », de Michel Richard (JC Lattès, 150 p., 12 €). D’emblée, trois images m’étaient venues à l’esprit. L’image d’une piscine à débordement, dont l’eau s’échappe sur un côté par l’effet d’un trop-plein. L’image ensuite de ces centaines de migrants, sur la côte marocaine, grimpant et grouillant sur les hautes barrières grillagées qui les séparent de l’enclave espagnole de Ceuta – la porte d’entrée vers leur éden européen pour ceux qui les franchissent. Et puis encore l’image de ces bambous dans l’allée de mon jardin s’évadant du matériau ad hoc censé contenir leurs racines et les empêcher de métastaser, plus loin, trop loin. Des images qui avaient l’inéluctable pour point commun. Comme si l’on pouvait arrêter l’eau, les hommes qui n’ont peur de rien d’autre que de leur sort de misère, les racines dont le métier est de pousser inexorablement ! Ces images m’étaient venues à l’esprit quand j’avais lu sur le compte rendu de biopsies que l’on m’avait faites l’expression « franchissement capsulaire » . C’est de cellules cancéreuses qu’il s’agissait et, visiblement, certaines s’étaient fait la malle, quittant leur nid d’origine, dans ma prostate