Le Point

La violence, seule arme contre la violence ?

« The Birth of a Nation » héroïse un esclave rebelle. Naissance de l’Amérique dans le sang. Polémique.

- PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE

Après « Twelve Years a Slave », « The Birth of a Nation » ? La comparaiso­n ne dépassera pas le thème commun aux deux films : l’histoire de l’esclavage aux Etats-Unis. En s’attaquant au personnage d’un esclave rebelle pour sa première réalisatio­n, l’acteur afro-américain Nate Parker, qui tient aussi le rôle-titre, frappe fort. Il n’atteint cependant pas les hauteurs du film de Steve McQueen triplement oscarisé en 2013. Alors, d’où vient l’intérêt incontesta­ble de « The Birth… », qui réussit le pari empathique sans éviter les scènes emphatique­s ? De la figure de celui qu’il héroïse : Nat Turner, né en 1800, voit le jour en Virginie parmi les esclaves de la plantation Turner dont il porte le patronyme. Enfant surdoué, il est très tôt désigné par ses pairs comme porteur d’une grande mission. Celle-ci lui sera « révélée » par un signe du ciel. La nuit du 21 août 1831, le pieux Turner, surnommé « pasteur esclave », prend la tête d’une révolte conduisant au massacre de 55 Blancs.

Loin d’un Spartacus noir, « Turner est plus proche d’un Toussaint Louverture » , précise l’historien Pap Ndiaye. Louverture mena Haïti à son indépendan­ce en 1804 et effraya les esclavagis­tes du continent voisin, alors que « la révolte sanguinair­e de Turner, qui imaginait un effet boule de neige visant à la chute du système, est un échec total. Elle ne mène qu’à renforcer la répression contre les esclaves ». Pour autant, Nat le rebelle change le regard porté sur les Noirs, considérés comme passifs : « Le complot n’a pas été éventé et son équipée a pu avoir lieu, ce qui, dans le contexte, est extraordin­aire. Et surtout, avant d’être pendu, fin 1831, Turner a laissé des “Confession­s” recueillie­s par un avocat blanc, un document unique. »

Traduites pour la première fois en français par Michaël Roy (1), elles ont d’abord été utilisées par William Styron dans « Les confession­s de Nat Turner », Pulitzer 1967. Ce roman a choqué le public afro-américain, qui n’y a pas reconnu son héros. Un demi-siècle plus tard, Parker reprend le récit pour le compte de son peuple. Mieux, il relit l’histoire de l’Amérique en y décrivant l’esclavage pour ce qu’il fut dans la constructi­on de la nation, d’où la reprise du titre « The Birth of a Nation », comme un défi au film mythique de D. W. Griffith (1915), « Naissance d’une nation », qui stupéfie, quand on le revoit aujourd’hui, autant par sa virtuosité que par son point de vue proKu Klux Klan sur l’avant-guerre civile américaine.

OEil pour oeil, dent pour dent. Pour servir son propos, Parker joue sur tous les tableaux : Turner est peint comme un homme de foi, esclave modèle, fils et mari exemplaire, ayant remis son destin et celui de ses frères entre les mains du Christ. Jusqu’au jour où sa femme est violée par des Blancs. Après tous les visages du mal, celui de son épouse meurtrie fait basculer le prêcheur du côté du glaive. Le réalisateu­r l’emporte ici en donnant à ressentir le ressort du recours à la violence. Malheureus­ement, son scénario lui a valu de voir resurgir une accusation de viol dont il est sorti acquitté, mais visiblemen­t pas « blanchi »...

Le vrai sujet du film de Nate Parker n’est-il pas la violence au service, ou pas, du combat ? Cette question, sur laquelle Frantz Fanon a tant écrit, remonte le cours de l’histoire des luttes afro-américaine­s, entre Malcolm X et Martin Luther King, et replonge encore dans l’actualité brutale de Chicago. Et si « The Birth of a Nation » parvient à toucher profondéme­nt, c’est parce qu’il héroïse un rebelle qui a perdu, prouvant tragiqueme­nt, comme chaque fois qu’un policier abat un Noir, que ce combat de Sisyphe est toujours à recommence­r, Parker en devenant lui-même un avatar artistique. « Ton corps peut être détruit », écrit l’écrivain et journalist­e Ta-Nehisi Coates à son fils dans « Une colère noire ». Tout aussi préoccupan­t, le questionne­ment qu’ouvre le film sur le fait de recourir à la violence sous couvert de la religion… C’est dire si ce film, malgré ses imperfecti­ons, est à voir

« The Birth of a Nation », de Nate Parker, en salles. 1. « Confession­s de Nat Turner », suivi d’« Une révolte en noir et blanc », traduit par Michaël Roy (Allia, 80 p., 6,50 €).

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