Pour Louise Colet
La Normandie, c’est la pomme. Je fais refroidir, sur le rebord de ma fenêtre dans la chambre 105 de l’Hôtel Flaubert (33, rue du Vieux-Palais, Rouen), une bouteille de cidre terroir de Madame Bovary, Bertrand Asselin producteur. Le cidre : seul alcool qu’on a le droit de boire quand on est petit, en mangeant des crêpes avec ses parents après la baignade sur une plage de Bretagne ou de Normandie. Il y a longtemps que j’ai renoncé au calva, mais je suis toujours accro au jus de pomme. Ai vidé à moi tout seul la bouteille du buffet au petit déjeuner. Il y a aussi la tarte aux pommes. Et les joues des filles de Rouen qui sont des pommes et luisent sous la pluie.
L’Hôtel Flaubert est dédié à Flaubert. Dans l’entrée, une gravure de Louise Colet grandeur nature. On a l’impression que Louise était bête et moche, c’est le contraire : elle était belle et intelligente. Ce qui nous trompe, c’est qu’elle a été repoussée, pendant plusieurs volumes de « Correspondance » en Pléiade, par Gustave Flaubert, qui ne voulait jamais la voir, sauf quand il faisait un saut à Paris, pour la sauter.
Née à Aix-en-Provence le 15 septembre 1810 – soit onze ans avant Gustave, ce qui explique bien des choses –, Louise publie son premier recueil de poèmes à 26 ans : « Fleurs du Midi », chez Dumont. Ses autres éditeurs, jusqu’à sa mort en 1876, seront Delloye, René, Pinotin, Berquet et Pétion, Coquebert, Royer, Dentu, Legros, Dondey, Barba et Lavigne. Tous disparus. Les éditeurs disparaissent, comme les journaux. De la presse si abondante du XIXe siècle il ne nous reste que Le Figaro, qui était alors un journal satirique. D’où son titre. Pour ses poésies, tout au long de son existence, Louise recevra quatre prix de l’Académie française. Alors que Flaubert n’en a eu aucun.
Libérale – au XIXe siècle, c’est le contraire de François Fillon – et féministe, elle contribue à financer le journal de Flora Tristan, L’Union ouvrière. Elle participera à la révolution de 1848 et soutiendra la IIe République. Elle a tenu, rue de Sèvres, puis rue Vaneau, un salon de gauche fréquenté par la crème des républicains que Napoléon III expédiera bientôt en exil à Bruxelles ou à Londres. Louise a écrit dans les journaux pour gagner sa vie et la changer, sans rencontrer le succès dans ces deux entreprises. Elle a fait son premier best-seller à 50 ans avec un bouquin vengeur sur son ex, Flaubert : « Lui ». J’ai volé son titre en 2001 pour un court roman sur Hitler qui n’a d’ailleurs pas marché. Pardon, Louise.
Italianisante, elle suit de près la révolution italienne. En 1860, elle voit Garibaldi à la séance d’ouverture du Parlement à Turin. A Naples, elle suivra les soldats dans leurs campagnes. C’était la cantinière de l’esprit de gauche. De cette expérience elle tirera son deuxième best-seller : « L’Italie des Italiens », en quatre volumes.
En 1871, Louise prend le parti de la Commune. Elle sera blessée dans l’explosion de la poudrière du Luxembourg. Sur la question, elle écrira « La vérité sur l’anarchie des esprits en France », qui ne paraîtra qu’en 1879, après sa mort. Son dernier ami sera le républicain Edgar Quinet, qui a son boulevard à Paris alors que Louise attend toujours le sien, comme Aragon